François Gorin sur télérama.fr nous retrace une partie de la carrière de Françoise.
C'est assez superficiel mais disons que ça reste sympathique et focalisé sur les années 60.
4 "épisodes" :
( http://www.telerama.fr/musique/francoise-hardy-1,60419.php )
Françoise était notre fille pop mais elle ne le criait pas sur tous les toits. Sur une fameuse photo de Jean-Marie Périer pour
Salut les copains, elle pose avec Mick Jagger et on dirait frère et sœur. Par ses lèvres sensuelles passaient des murmures. Des confidences de jeune fille parlant plus aux autres filles plus jeunes qu'aux garçons. Ces disques de quasi-mannequin tenant son journal intime en pleine lumière, c'était le rayon de ma grande sœur (désolé si j'invite encore la famille, après, c'est promis, j'arrête). Sur la banquette arrière, elle chuintait pour elle-même, on savait que c'était Françoise qui s'exprimait par cet agaçant médium, on ne tendait pas forcément l'oreille pour en savoir plus. Il y avait les chansons de la radio, certaines tout à fait charmantes, les garçons qui jouaient au foot résistaient comme ils pouvaient à ce genre de séduction. Plus tard, plus tard…
Un jour je me suis mis à racheter quelques-uns des 45-tours que ma sœur avait rayés dans le secret de sa chambre. Etienne, un sympathique chanteur breton, n'avait pas encore opéré la résurrection
hip de Françoise Hardy. Je faisais ça dans mon coin, peut-être un peu honteux. L'alibi parfait, c'était Dutronc. Hardy était la meuf à Dutronc, tout de même. Et puis je t'assure, il y a des choses bien. Pas
Tous les garçons et les filles (encore que…), pas
Mon amie la rose. Pas forcément non plus les gimmicks Gainsbourg,
sous aucun prétex-te je ne veux, etc. Quoi alors ?
Ce petit cœur, par exemple. Un joli truc entêtant, au petit trot du clavecin. 1965, enregistré au studio Pye de Londres avec Charles Blackwell et son orchestre, comme le reste de l'album
L'Amitié. Françoise et son air de ne pas y toucher.
Ce petit cœur qui ne bat pour personne… Et sa manière délicate, plus dédaigneuse que blessée, de faire des
hon-hon-hon… Ça deviendra
This little heart pour
Françoise Hardy in English. Mais,
how strange, c'est en français qu'elle est plus pop.
( http://www.telerama.fr/musique/francoise-hardy-2,60524.php )
Dans sa grande opération de restauration
hip de Françoise, princesse pop, le jeune Etienne D. nous bassinait régulièrement avec son album fétiche,
La Question. Je vous parle des années 80, dont je me sens soudain terriblement nostalgique. Pour lui, c'était le
nec plus ultra du hardysme
hard core. Un grand œuvre intime et conceptuel, post-yéyé (1971), puissamment mélancolique. J'ai essayé, bien aimé, sans grimper aux rideaux. Pour mieux revenir à Françoise, celui qui ne porte que son prénom, avec un soleil à la place du « O ». Appelé aussi par défaut
La maison où j'ai grandi, d'après le tube qui ferme la face deux.
C'est une chanson qu'Adriano Celentano interprète au festival de San Remo en janvier 1966 :
Il ragazzo della via Glück. Paroles de Luciano Beretta et Michele Del Prete. Françoise est là, elle l'adopte illico et l'enregistre à Londres quelques mois après.
La Maison devient sa maison.
Quand je me tourne vers mes souvenirs… Elle fait ce mouvement avec une grâce tout à fait naturelle. Chez Melle Hardy, l'introspection est une seconde nature. Bonheur et malheur sont à portée d'une pensée, parfois la même, et ils se tiennent souvent la main. Revenir sur les lieux de son enfance, voir que…
là où vivaient des arbres, maintenant la ville est là ah-ah-ah-ah-ahahah… Ces modulations sur « a » sont un peu la signature italienne de la chose. Françoise n'a pas précisément le type de la
ragazza. Rien de lyrique dans son chant, rien d'exubérant dans son expression. C'est d'ailleurs sans doute sa placidité, déjà légendaire à 22 ans, qui rend si attirant son penchant coupable pour la neurasthénie post-adolescente. Or donc la
canzone, sa mélodie à étages, ses emportements, donnent chez elle un mix de feu et de glace qui fait mouche. En pleine sentimentalité, sa voix reste à peu près égale, son visage de marbre à peine effleuré par le soleil brûlant. Dans le même registre, il y aura Nino Ferrer et sa
Maison près de la fontaine.
( http://www.telerama.fr/musique/francoise-hardy-3,60543.php )
Pardon d'insister mais j'ai un truc avec cet album « italien » – dont j'ignorais l'existence à l'époque. L'ouverture est italienne :
Se telefonando (musique : Ennio Morricone) devient
Je changerais d'avis, la voix poussée sur grondement d'orchestre.
Qu'ils sont heureux, avec son clavecin pré-
Rain and tears, n'est pas italien (signé Eddy Marnay/André Popp) mais pourrait l'être. Quand j'ai commencé à fréquenter
Françoise, j'en mélangeais les morceaux : à part les tubes déjà répertoriés
(Rendez-vous d'automne), ils se ressemblent un peu tous. Variations sur la même chanson qui pourraient être infinies. Mis bout à bout, les titres font des phrases :
Peut-être que je t'aime… Comme… Mes jours s'en vont. Ou se répondent en écho :
Je serai là pour toi /
Tu es un peu à moi.
Fin de première face, l'Italie revient.
Il est des choses fait partie de la même pioche au festival de San Remo que
La Maison… Edoardo Vianello la chantait en VO :
Ci sono cose più grandi. Ici ce n'est pas le mouvement général et le doux envahissement par la mélodie qui font la différence. Mais juste l'inflexion géniale d'une phrase, une seule petite phase qui ouvre une fenêtre et fait décoller la rengaine.
« Ne fais pas ces yeux-là ! » On peut compter sur Françoise Hardy pour moucheter le point d'exclamation. Jamais on ne l'entendra crier. Ça ne rend les six notes que plus efficaces. Incorrigible, elle met encore en scène un chagrin d'amour. Celui de l'autre, à qui elle fait la leçon de choses de la vie tout en le consolant.
« Dis-toi toujours que je t'ai aimé… même si c'est moi qui dois te quitter… je souffrirai plus que toi… » On devine le regard du malheureux garçon et tombe alors le fameux :
« Ne fais pas ces yeux-là ! » Comme si la chanson s'inventait à mesure et trouvait à cet instant-là, par hasard, non seulement sa beauté, qu'on pourra juger banale, mais son point de rupture. Chanteuse keatonienne, l'impassible Hardy hausse un sourcil et tout est changé.
( http://www.telerama.fr/musique/francoise-hardy-4,60545.php ) :
Un jour du siècle dernier, j'ai mis la main sur cet étrange
Loving. Album américain, son deuxième dans la langue d'Elvis après
FH in English. 1968. Assise dans les feuilles mortes, un peu trop maquillée. L'automne est sa saison. Au dos de la pochette, un certain Michael Jackson brode :
« Il faut avoir passé un hiver à Paris pour comprendre ce que signifie le printemps pour les Parisiens. » Le gars imagine un café où le juke-box diffuse la voix de Françoise. Mais les chansons de
Loving, on ne les entendait pas à la radio. Le choix dénote un goût très sûr : Elvis, Tim Hardin, Shirelles, Ricky Nelson, Buddy Holly, Everly Brothers…
Dès que ça rocke un peu, la chanteuse impassible est saisie de raideur (
That'll be the day, tout raplati, transparent). Les ballades évidemment lui vont mieux au teint.
There but for fortune est un des plus beaux hommages à Phil Ochs qui soient. Certains mots sonnent bizarre par sa bouche enhardie,
« show me the whisky stains on the floor… » mais la beauté triste est captée avec justesse. La merveille est au milieu de la face deux :
Tiny Goddess, un très mineur hit de Nirvana. Pas celui de Kurt Cobain, juste né à l'époque : l'éphémère groupe anglais gentiment psychédélique. Je suis allé pêcher la perle par ses créateurs et elle n'a pas l'éclat discret de la version Hardy. A croire qu'ils l'avaient fabriquée pour elle, cette variation sur le Canon de Pachelbel (encore une !). Sa voix brumeuse s'y promène comme en rêve, avec une espèce de détachement souverain. C'est une histoire d'attente recluse pourtant.
« Tiny goddess wrapped in lace… that certain smile upon your face… is telling me what's to be when he leaves… » On l'imagine en dentelle, entre ses fans transis Dylan et Nick Drake. Longtemps avant Daho, elle aurait pu chanter
Arnold Layne ou
Sunday Morning, Françoise. Et pourquoi pas
Femme fatale. Ou
Il cielo in una stanza, de Franco Battiato. Elle serait le chaînon manquant entre Nico et Carla Bruni…