Devinette du 2 mai 2011

De quel roman provient cette conversation entre une mère et sa fille ?

_ Qui c'est celle-là ? Dis-je à Gab en lui montrant une photo sur la couverture d'un magazine.
_ Tu la connais pas ? Sans blagues …
Le souffle coupé, elle tombait des nues.
_ Non, je l'avoue, je n'ai jamais vu cette tête... Si c'était B.B. Je l'aurais reconnue du premier coup.
_ B.B. C'est une croulante, avec son lardon. Mais celle-là c'est du neuf. Regarde ! Elle est partout ici...
Sur les murs je reconnus la même fille à plusieurs exemplaires. En pantalon, les bras chargés de cahiers, descendant des marches dans la cour de la Sorbonne, au pied de la statue de Victor Hugo. Jouant avec des poupées dans sa famille. Téléphonant, dépiautant son carnet de rendez-vous : « Je mène une véritable vie de folle, mais c'est grisant !... »
_ C'est Françoise Hardy.
_ Maintenant je me rappelle. J'ai entendu son nom. Explique-moi !
_ Il faut tout te décortiquer, dit-elle avec un geste d'impuissance. T'es pas plus affranchie qu'une chaufferette. C'est fatigant.
_ Je fais preuve de bonne volonté, tout de même... Tu ne peux pas m'accuser...
_ C'est ça justement qui est tarte. Tu as l'air d'être au cours du soir.
_ Si je m'intéresse à rien de ce qui te plait, je suis croulante, cadenassée dans ses idées moisies. Si je m'y intéresse, je suis tarte...
_ Laisse tomber ! Dit-elle avec lassitude. C'est pas la peine de te faire des cheveux.

Le roman dont tu parles, c'est avant ou après 1950 ? ....

Quelque part cela me fait penser à Christiane de Rochefort pour des tas de raison, mais cela me semble bien plus récent, même très récent

Un roman de Frédéric Dard datant des années 60' ?

Heu, je n'ai pas l'esprit d'escalier, mais depuis tout à l'heure, le mot "roman" me taraude. Cet échange me fait plus penser à Claire Brétécher et son Agrippine qu'à autre chose. Cela pourrait être aussi un dialogue issu d'une comédie de boulevard. A défaut d'être représentatif d'un dialogue mère/fille, cela l'est d'un échange "transgénérationnel" . Je suis curieuse quant au fin mot de l'histoire

Moi, je pensais plutôt à Zazie dans le métro de Raymond Queneau . Mais le roman est de 1959 et Françoise a démarré sa carrière en 1962 ...

La suite de la conversation entre la mère et la fille devrait vous aider à préciser la date de l'écriture du roman, contemporain aux anecdotes.
Une indication : le roman dont il est question est de facture très classique.


Deuxième extrait :

Elle continua, avec une indulgence apitoyée :
_ Françoise Hardy, elle a dix-huit ans. Quand elle a eu son bac, son père lui a payé une râpe...
_ Une râpe ?...
_ Une guitare. Elle a composé des chansons. Elle a regardé dans l'annuaire les noms des maisons de disques. Elle leur a téléphoné. Elle a auditionné. On lui a dit : « C'est moche et vous ne chantez pas en mesure. » Elle s'est inscrite au Petit Conservatoire de Mireille. Elle a appris à chanter. Elle s'est pointée de nouveau chez un des mecs qui l'avait éjectée. Mais je ne vais pas te dégoiser tout le truc... Tu as qu'à lire Confidences ou Salut les Copains …
_ Tu la trouves bien, cette Françoise Hardy ?
_ Fumante !

J'examinais les photographies qui tapissaient les murs.
_ Tu ne trouves pas qu'elle a des cheveux en crins de balai et une tête de cheval ? Elle ressemble un peu à Fernandel.
_ C'est pas l'avis de Vadim. Il la veut pour son prochain film Château en Suède.

Troisième extrait :

Je pris un hebdomadaire qui traînait. Un surtitre énorme, comme pour une déclaration de guerre :



Dessous, le vrai titre, encore plus colossal, avec le nom de la déesse souligné de rouge :



Elle rêvait, la mains sur la tempe, puis le poing sous le nez, avec des cheveux en brins de bruyère, qui tombaient raides sur ses épaules.


_ Comment sont-elles, ses chansons ? Tu veux m'en faire entendre ?
Gab remit l'électrophone en marche :
Ton meilleur ami
Vient bien souvent me voir
Ton meilleur ami
Me téléphone tous les soirs
Il me dit qu'il m'aime
Que sans moi la vie
Ne vaudrait plus la peine
Oui voilà ce qu'il me dit
Ton meilleur ami.
.................................

Donc, le roman serait de 1962 ( "ton meilleur ami " Françoise Hardy, Roger Samyn 1962 ) + (Un "chateau en Suède" 1963 dont on parle comme étant : "son prochain film " ) comme indices.

J'arrive à peu près à la même conclusion.

D'après les indices ça se situe après la sortie de "Ton meilleur ami" paru en fin d'année 1962 et avant le tournage de "Château en Suède" en mai 1963.

Avec la manchette de presse "19 ans et déjà trois fois déçue" on peut même resserrer la fourchette sur 1963 entre le 17 janvier et le mois mai.

Il faudrait donc inventorier tous les livres parus au premier semestre 1963 et y trouver la perle, a priori au sein des livres français.

Ca reste très ("trop") vaste pour moi.

Jean-Edern Hallier ?

Je pense à son roman "Les Aventures d'une jeune fille" parce que le titre me plait et qu'il est paru en 1963 mais ce serait extraordinaire que ce soit la bonne réponse vu que je propose ça au pif total....

Le premier semestre 1963 est une bonne piste
Jean-Edern pas du tout. Un petit indice : l'auteur du roman était largement plus âgé que lui et aurait même pu être son père !

Quatrième extrait :

_ Elle a une voix jeune, sympathique, dis-je. Et puis, au moins, elle exprime des sentiments. Elle ne se borne pas à gueuler : « Viens danser le twist, viens, viens, viens » et à se rouler par terre en écumant, comme Johnny Hallyday. Mais tu ne trouves pas que les paroles de ses chansons ne cassent rien et qu'elle n'a pas l'air de savoir chanter ?
Je flairais mon imprudence mais j'en avais assez de me vautrer dans la démagogie. Entre une mère tyran et une mère lèche-bottes, il devait y avoir tout de même une moyenne.
_ Je ne suis pas de ton avis, dit sèchement Gab, se barricadant en elle-même. Ça se sent ou ça se sent pas. Si on le sent pas, on se donne des tours de reins pour rien, surtout à partir d'un certain âge. Il vaut mieux s'enfoncer des boules Quies dans les portugaises et se foutre au lit avec une bouillotte.
_ Tu ne pourrais pas me mettre un autre disque de ta Françoise ? dis-je pour prouver ma bonne volonté.
_ Te casse pas le tronc. Ce sera du pareil au même.
_ Mais non, j'insiste. Je veux juger loyalement.
_ Jeanne, Jeanne, tu m'auras à l'usure !...

C'est curieux, la fille appelle sa mère par son prénom au lieu de "maman".

Serait-ce un indice ?

Mince ! Mais je crois que tu tiens un indice Alexandre !

Cinquième extrait :

Elle me fit entendre C'est à l'amour auquel je pense.
_ Ah ! Ça, c'est mille fois mieux. C'est frais, c'est épatant, c'est nostalgique, c'est humain ! m'écriai-je frénétiquement.

Gab me regardait avec soupçon. Pour ne pas me faire accuser de courtisanerie, je risquai une critique :
_ Tout est formidable. Sauf le titre, si tu permets : C'est à l'amour auquel je pense. C'est une faute de français. Il fallait dire : C'est à l'amour que je pense.

Gab se rembrunit.
_ Ah ! vous, les vieux, avec votre grammaire !... On peut être c... comme un balai, pourvu qu'on ne fasse pas de fautes d'orthographe, ça vous botte.

Elle s'assit sur son divan, entre les piles de livres et de disques, écrasa une cigarette dans un cendrier, croisa les jambes et me regarda
avec attention.

_ Alors, Jeanne, tu aimes bien Françoise Hardy ?
_ Oui, je suis pour. Ça me plait.
_ Alors, tu ne sais pas ce que tu devrais faire ?... Me payer une râpe... une guitare. Pas une Guild Starfire électrique type X 350 S F 2, n°18 4444, à trois micros et vibrato manuel, comme celle de Johnny Hallyday. Non, une râpe ordinaire.
_ Tu n'as pas peur que ça t'empêche de travailler ?
_ Au contraire. Ce sera ça, mon boulot.

Youpie!!!
J'ai pensé au bon vieux Popaul Guth et à son cycle des Naïfs : mais ils ont été écrits trop tôt!!! Quel dépit! Et puis sur Wikipedia, je prends connaissance d'une autre série celle de Jeanne La Mince (les années coïncident). Je fais une petite recherche (Paul Guth Gab Jeanne la mince) et je tombe sur ce texte :
Ainsi s’achève le cycle de l’ardente Jeanne la Mince, victime de son amour et de sa jalousie. A ce dernier acte Paul Guth donne comme cadre la vie
des vedettes de la fournaise parisienne, de François Mauriac ou Jules Romains à Françoise Hardy, vedettes parmi lesquelles la fille de Jeanne
et de Paul, Gab, représente les fameux teen agers.

Eureka!
Merci Jérôme

Effectivement, dans le 4ème volume de la tétralogie Jeanne la Mince (Tome 4 = Jeanne la Mince et la jalousie, paru au 2ème trimestre 1963), Paul Guth évoque le monde de la chanson et en particulier Françoise Hardy.

Voici le dernier extrait :

_ Quoi ça ?...
_ Je ne t'en ai jamais parlé. Mais puisque tu es de passage dans le quartier... C'est une idée que j'ai depuis quelque temps. Moi aussi, plus tard, je voudrais faire de la chanson . Françoise Hardy a réussi. Sylvie Vartan a réussi. Pourquoi j'essaierais pas aussi ?...
_ Tu penses ce que tu dis ?
_ Je ne fais que ça.
_ D'abord il faudrait que tu passes ton bachot.
_ Ça ne sert pas à grand-chose. Mais si ça peut te faire plaisir, je le passerai, puisque Françoise l'a passé.
_ Tu ne te rends pas compte. C'est un milieu épouvantable. Surtout pour une fille.
_ T'en fais pas. Je saurai me défendre.
_ Tu mangeras de la vache enragée.
_ Ça me changera du menu de la maison. Et puis, Jeanne a un cœur d'or. Elle ne laissera pas tomber sa guitariste.
_ Il faut travailler comme une perdue, combiner, intriguer, se faufiler, s'accrocher. Il faut avoir des relations.
_ Comme relations Françoise Hardy avait l'annuaire des téléphones. Et puis j'ai un père, quand même...





Sur la 4ème de couverture de l'ouvrage, l'éditeur donne des informations assez approximatives quant au contenu du livre :

"Voici le quatrième et dernier volume de la série Jeanne la Mince . Il embrasse une vaste période qui nous mène jusqu’en 1963.

Jeanne la Mince vit enfin avec celui qu’elle aime : le brillant journaliste Paul Blagnac, qui met son charme méridional au service d’un arrivisme très parisien.

Jeanne la Mince est victime de trois drames. Le drame de la femme plus âgée que l’homme qu’elle a choisi. Le drame de la femme qui travaille et qui gagne plus d’argent que son mari. Le drame de la femme de l’écrivain, qui doit se sacrifier à l’œuvre de l’époux.

Un seul de ces problèmes suffirait pour écraser n’importe quelle femme. Mais Jeanne la Mince résiste à cette formidable tension. Paul la trompe, d’abord avec son travail : le journalisme, la littérature, le théâtre, puis avec une femme, Laurette. Jeanne en souffre affreusement. Elle se défend avec frénésie, au début naïve et touchante, qui se transforme peu à peu en sécheresse, la sécheresse de la femme qui n’attend plus rien de l’amour et qu’une rivale infiniment plus jeune dépossède de ses prestiges de femme. Jeanne somme Paul de choisir entre elle et Laurette. Paul choisit Laurette.

Ainsi s’achève le cycle de l’ardente Jeanne la Mince, victime de son amour et de sa jalousie. A ce dernier acte Paul Guth donne comme cadre la vie des vedettes de la fournaise parisienne, de François Mauriac ou Jules Romains à Françoise Hardy, vedettes parmi lesquelles la fille de Jeanne et de Paul, Gab, représente les fameux teen agers.

Au milieu d’une foule de détails d’une saveur délicieuse qui attirent le sourire, Paul Guth prend un ton nouveau pour analyser ce cas, si fréquent chez les femmes, surtout à un certain moment de leur vie, de jalousie déchirante. Il a voulu achever ce cycle par un roman poignant comme une confession. Après tant de succès de rire, il montre un autre aspect de sa sensibilité en briguant, avec toute la sincérité de son cœur, un succès d’émotion."


En réalité la "fournaise" parisienne est beaucoup moins présente dans le livre que ne laisse à penser cette "publicité". Le véritable personnage célèbre qu'on rencontre dans le livre est le peintre Kees Van Dongen. Ceci montre cependant qu'à l'époque Françoise Hardy était devenue un indéniable argument publicitaire.... Elle permet à Paul Guth d'aborder à la toute fin du livre la difficulté de communication entre une mère et sa fille (j'ai recopié l'intégralité du passage mentionnant Françoise Hardy).

Bravo à MarcelPP qui a su inconsciemment rebondir sur les indices d'Alexandre et peut-être même prendre note de ma réponse (Mince ! Mais je crois que tu tiens un indice Alexandre ! )

Pour une fois mes réponses ont peut être servies à quelque chose.