Testament, « testamour »
Nathalie Lacube, le 19/08/2017 à 6h00
Une femme adresse à son fils un message d’amour alors qu’elle se prépare à la mort. Tant de belles choses, à la mélodie languide et à la sincérité émouvante, est l’archétype de l’adieu en musique.
En 2004, Françoise Hardy travaille à son 24
e album, quand ses médecins diagnostiquent chez elle un lymphome. À 60 ans, la chanteuse pense que ce cancer va l’emporter à brève échéance. Elle écrit les paroles de
Tant de belles choses comme on rédige son testament, directement adressé à son fils, Thomas Dutronc.
« Il était trop à vif pour s’ouvrir à un texte aussi chargé émotionnellement – au contraire de son père (Jacques Dutronc),
qui ne put s’empêcher de pleurer en écoutant la chanson et me téléphona pour me le dire, ce qui me toucha profondément », écrit-elle (1).
« Françoise Hardy est quelqu’un d’assez limpide, elle ne se dissimule pas, elle parle tout droit », souligne Bertrand Dicale, chroniqueur à France Info. Aussi, ce moment particulier de sa vie est connu de ses auditeurs, d’autant que ces paroles parlent d’elles-mêmes.
« Même s’il me faut lâcher ta main/sans pouvoir te dire à demain ». Mais, s’il n’y a dans cette chanson aucun mystère, son charme se trouve ailleurs.
L’impression d’apaisement qui se dégage de
Tant de belles choses touche au cœur. La mélancolie des mots, l’élégance de la musique, le timbre serein de la voix de Françoise Hardy composent un message d’adieu que chacun peut s’approprier. Sa spiritualité épurée va à l’essentiel. Une mère lance un cri d’amour à son enfant, lui demande d’affronter l’idée de sa perte sans désespoir, et d’aller de l’avant vers ce que le monde lui réserve.
Musicalement, c’est de la « belle ouvrage ». À la composition, le jeune Alain Lubrano donne une sensibilité pop très moderne à l’ensemble. L’album s’enrichit d’une collaboration avec Benjamin Biolay, de solos de guitare de Thomas Dutronc, de titres de l’Irlandais Perry Blake, d’une réalisation dirigée par Dominique Blanc-Francard.
Tant de belles choses connaît un succès immédiat. La chanson est double disque d’or en France, elle s’écoute au Royaume-Uni, Japon, Canada, Allemagne, comme
Tous les garçons et les filles, Le Temps de l’amour, Message personnel… L’artiste reçoit la Victoire de la musique de la meilleure interprète féminine. Cet abandon sans vanité à l’approche de la mort s’avère finalement exagéré. Françoise Hardy va se remettre, difficilement. Il lui reste à elle aussi de belles choses à vivre. Parmi celles-ci, la joie d’entendre son fils chanter à son tour, pour elle, la chanson testament,
« testamour » (le mot – ça ne s’invente pas ! –, vient d’une chanson de Jacques Dutronc). Il arrive aujourd’hui à des familles de la faire jouer lors de l’enterrement d’un proche, s’appropriant dans leur histoire intime ce chant d’adieu. Car si beaucoup d’artistes ont écrit sur leur mort, peu ont atteint à l’universel avec autant d’élégance. Bertrand Dicale ne voit que Charles Trenet en écho au sublime détachement de
Tant de belles choses. Souvenez-vous,
L’Âme des poètes.« Longtemps, longtemps, longtemps, après que les poètes ont disparu/leurs chansons courent encore dans les rues… »Nathalie Lacube
(1) Le Désespoir des singes… et autres bagatelles, Robert Laffont, 416 p., 21 €
Source : http://www.la-croix.com/Journal/Testament-testamour-2017-08-19-1100870596