Afin de pouvoir maintenir la viabilité de l'article dans le temps, je le recopie ici.
Il donne un bon résumé généraliste des débuts de Françoise. Merci Duck's blues.
( Source : http://www.inside-rock.fr/La-collection-62-66 )
La collection 62-66Françoise Hardyle 25 janvier 2010
Paru le 27 novembre 2009 (Sony Music)
Tout le monde aime Françoise Hardy. Toutes les bonnes sœurs et tous les voleurs, toutes les brebis et tous les bandits. Tout le monde aime Françoise Hardy. La simple évocation de son nom provoque chez les hommes, quinquas ou non, râles et filets de bave émus face à tant de beauté, et chez les femmes des soupirs mélancoliques qui vous disent combien la chanteuse a su toucher leur âme. En Europe aussi, on la connaît et on l’apprécie. L’Italie, l’Allemagne, l’ont fêtée dans les années soixante, l’Angleterre l’idolâtrait. Quand on sait en outre que Mick Jagger et Bob Dylan en avaient fait chacun leur idéal féminin, la beauté du premier et l’intelligence du second s’accordant sur leur choix dans un œcuménisme rare, on comprend ce que Françoise Hardy pouvait représenter à une époque où les chanteuses françaises étaient toutes plus godiches les unes que les autres. Encore récemment, c’est un Damon Albarn tout émoustillé qui l’invitait à chanter
To The End de Blur en 1995. Alors pourquoi tant d’amour ?
Sheila vs Françoise Hardy... chacun ses goûts.Les raisons se bousculent au portillon pour expliquer cet inconditionnel statut de mythe que la compagne de Jacques Dutronc a engendré. Tout d’abord, sa beauté. Car Françoise Hardy est incomparablement belle, le nez fripon, la lèvre pulpeuse, la mâchoire et le menton aux angles géométriquement parfaits, des yeux délicieusement bleus dont le regard timide porte loin sa mélancolie, et puis cette longue chevelure couronnée par une éternelle mèche. Mais au-delà de ces traits si remarquables, ce qui rend Françoise Hardy si touchante c’est qu’ils s’accompagnent d’une timidité maladive. Voici l’autre élément constitutif de son charme : la chanteuse représente le phantasme absolu du romantisme masculin, à savoir la jolie fille qui s’ignore telle. Élevée par une mère célibataire à une époque où la chose est honteuse, complexée par une grand-mère pas très gâteau, Françoise Hardy développe très tôt une personnalité d’adolescente mélancolique, solitaire et sérieuse. Un terreau fertile pour une carrière d’artiste. «
Je me projetais entièrement dans les chansons, dira-t-elle aux Inrocks en 1990.
C’était à la fois un plaisir et un refuge. J’aimais beaucoup les chansons lentes dans lesquelles il y avait de la mélancolie, parce que moi-même je me sentais très seule. ».
Dès son premier disque en 1962, la demoiselle se fait connaître en grâce au fameux
Tous les garçons et les filles, dont le single se vend à 700 000 exemplaires après un passage télévisé providentiel juste avant le résultat du référendum sur l’élection du président au suffrage universel. Loin de l’insouciance yéyé et de l’hédonisme sixties, la chanson parle d’une jeune fille célibataire, envieuse des autres couples de son âge. Un texte qui marquera au corps son interprète, en lui conférant une image « de la pauvre fille esseulée, un peu tarte, qui ne plaît à personne » (Inrockuptibles, avril 1990). Mais surtout,
Tous les garçons et les filles a été composé par Françoise, l’une des rares idoles du temps à pouvoir écrire de la musique parfois, et des paroles souvent. En dépit d’une naïveté apparente, les textes de la jeune fille forment en réalité un véritable bréviaire de la vie amoureuse, fondé sur une conception pessimiste et d’une sensibilité à fleur de peau des relations sentimentales. Une conception quasiment proustienne, où l’amour apparaît presque toujours fuyant, insaisissable, évanescent, sous la menace de terribles souffrances. Ce genre de vision s’accorde sans doute assez bien avec celle de centaines de milliers de jeunes adolescentes éplorées, même aujourd’hui. Si les paroles des deux premiers disques forcent un peu la rime, ressassant infiniment les mêmes termes autour de la thématique amoureuse, à partir de 1964 celles-ci deviennent un peu plus profondes, en tout cas touchantes. Il suffit d’écouter
Si c’est ça composé en 1966 pour s’apercevoir des qualités d’écriture de Françoise Hardy. Carla Bruni s’en est bien rendu compte, elle qui pompa la chanson pour son
C’est quelqu’un qui m’a dit La plupart du temps, la figure masculine des chansons est absente, soit sortie ailleurs (
En t’attendant), soit partie (les excellents
Je veux que tu reviennes et
Tu n’as qu’un mot à dire). Dans
Quel mal y a-t-il à ça ?, adaptation de Patsy Cline, le personnage féminin se force à imiter le comportement volage de son amoureux. Avouant dès le départ «
Je n’aime pas beaucoup les boîtes de nuit, Je n’aime pas tellement boire du whisky », la jeune fille dit à son homme qu’elle préfère sortir avec lui, mais qu’elle l’imitera s’il fait la fête avec ses amis : «
Je ferai comme toi. » Dans une terrible prédiction, Françoise Hardy anticipe en chanson ce qu’elle vivra en réalité avec Jacques Dutronc. En 1967, la chanteuse s’éprend du fameux playboy cynique qui enchaîne les tournées chaotiques et les conquêtes sans trop se soucier de sa dulcinée, du moins pas autant qu’elle le souhaiterait. Entre 1967 et 1974, elle le côtoie donc très peu, une source d’angoisses et de tristesse pour elle, dont les contours ressemblent traits pour traits aux paroles d’une autre chanson :
Je n’attends plus personne qui date de 1964 et pousse la coïncidence autrement plus loin.
Pour toi, c’est très facile
Tu poursuis ton chemin
Allant de ville en ville
Sans jamais avoir besoin de quelqu’un
Pour toi, c’est très facile
Tu ne t’arrêtes pas
Allant de fille en fille
Sans jamais que tu reviennes sur tes pas
Au fil des mélodies se profile alors l’immarcescible altérité entre l’homme et la femme, qui confine à l’incompréhension réciproque, par conséquent à la souffrance inévitable. A cet égard,
Pourtant tu m’aimes offre un bon exemple de ce fossé qui sépare les genres, les uns étant tournés vers l’esprit de conquête permanent, les autres étant dévouées uniquement à l’être aimé :
C’est vrai, moi, je suis une fille et tu es un garçon
Et c’est pour ça qu’on ne voit rien de la même façon
Moi, je rêve toujours de me trouver seule avec toi
Et toi, tu veux tout conquérir tout connaître à la fois
Pourtant tu m’aimes et je ne peux vivre sans toi
Musicalement, les premiers EP Vogue de Françoise Hardy évoque la ballade dans son art le plus achevé. Tout en s’inscrivant dans la tradition française du genre (Hardy adore Barbara), les chansons sont recouvertes par un vernis moderniste, entre twist yéyé, folk-rock à la Polnareff, slow dévastateur à la Roy Orbison. Dès 1964, la chanteuse enregistre au studio Pye de Londres, là où Eddie Mitchell traîne ses guêtres depuis un an, là où Polnareff réalisera son chef-d’œuvre Love Me Please Love Me deux ans plus tard. Les arrangements signés Charles Blackwell se démarquent immédiatement de ceux effectués en France, pas très inspirés et régulièrement copiés sur les standards rock américains, à l’image d’un
Toi je ne t’oublierai pas qui décalque le
His Latest Flame d’Elvis Presley. En Angleterre, les chansons de Françoise Hardy prennent un tour un chouia rock (cf. la guitare saturée de
Je n’attends plus personne), mais conservent l’esprit mélancolique des singles du début. Les 33 tours
Mon amie la rose et
L’amitié se hissent donc à un niveau rarement atteint pour un artiste français à l’époque. Pendant ce temps, les Anglais se prennent de passion pour la chanteuse, qui se voit consacrer un show entier de l’émission
Picadilly Circus, où elle joue une tripotée de morceaux, notamment un Ce petit cœur tourné en compagnie d’une petite fille adorablement sérieuse. La chanteuse effectue également un playback dans un épatant costume rayé sur
Le temps des souvenirs, superbe chanson au « shala lala » samplé par Barry Adamson sur la BO de
Lost Highway.
Pas étonnant donc, si le mythe Hardy perdure aujourd’hui quand beaucoup d’autres s’émoussent. Véritable auteur-compositeur à la patte très personnelle, l’idole de Bob Dylan s’est inventé une œuvre cohérente et riche, qui réconcilie ballade sensible à la française et mélodies efficaces à l’anglo-saxonne. Que ce soit à travers des compositions originales - écrites par elle ou d’autres - ou des reprises, Françoise Hardy impose son style d’adolescente amoureuse, en proie au spleen et à l’angoisse romantiques. Une vision noire et sombre finalement, qui rejaillira beaucoup sur sa propre histoire. Quant au coffret lui-même, sa réception dépendra de votre degré de proximité avec l’artiste. Pour un néophyte, c’est l’occasion unique de découvrir une pléthore de chansons méconnues et somptueuses,
Si c’est ça,
Quel mal y a-t-il à ça ?,
Je veux qu’il revienne,
Je t’aime,
Et même,
Et pourtant tu m’aimes, etc. De quoi passer des heures en se prélassant à l’écoute de chansons qui n’ont pas d’âge et nous rappellent qu’il existait en France de la pop de qualité, au doigté plein de fraîcheur et de raffinement. Pour les fans de base, qui possèdent déjà les rééditions Vogue de 1995, ce coffret prêtera le flanc aux critiques : clairement bâclé (on y trouve des fautes d’orthographe : « Franck » Sinatra), l’objet intègre les « vinyles replica » sans leur pochette ouvrante originale, contrairement au coffret Dutronc sorti auparavant. Quand bien même les vieux de la vieille se réjouiront du disque
In English, ils regretteront par ailleurs l’absence des chansons que Françoise Hardy a enregistrées en allemand et en italien - car à l’époque, monsieur, la variété internationale respectait son public et lui chantait les paroles dans sa langue. Avec cet intégral, voici en tout cas l’occasion de (re)tomber amoureux de l’égérie sixties qui incarne le mieux une façon d’être belle et talentueuse à la française. C’est idéal pour déprimer, aussi.