On dit tant de mots

Françoise Hardy fait découvrir "On dit tant de mots" à une de ses camarades du petit conservatoire de la chanson le 10 novembre 1962. La chanson reste à ce jour non commercialisée.

Bof, bof, bof : on comprend pourquoi elle n'a pas été retenue.
Elle est déjà dans la tristesse : "tu me quitteras ou je m'en irai ". C'est une chanson réjouissante bien dans l'air des "golden sixties"

Merci Jérôme. J'adore voir ce genre de document, où l'on voit un artiste dont la créativité est encore en ébullition. Et on voit bien que la chanson est un art à part entière, associant mots, accords et prosodie/rythme en même temps. Les accords ne me semblent pas encore au point à certains endroits, mais Françoise continue de débroussailler sa chanson, poussée par l'envie de dire ses mots, menée par le sentiment qui l'habite, et motivée par l'art de les dire, cet art étant celui de la chanson, un art vivant, spontané, frais, en vogue dans les années 60. A l'époque, plein de jeunes se baladaient avec une guitare sèche.

Deux autres observations: avec cette chanson Françoise ne tourne pas sur une seule ritournelle, c'est une mélodie à plusieurs virages, ou plusieurs mélodies associées, qui fait que l'ensemble n'a peut-être pas été jugé assez mémorable ou accessible pour être enregistré ou publié. L'autre observation, c'est que le premier motif (qui semble être le refrain) me rappelle un air familier mais je n'ai pas encore trouvé lequel. A ce moment précis, je cherche, je cherche...

En écoutant et réécoutant cette chanson, je reste admiratif devant la façon dont Françoise se démarque du premier motif d'accords pour y revenir en milieu de parcours (c'est ce qui crée le refrain, bien qu'il n'y en ait qu'un car elle n'y revient qu'une fois, et donne une impression de synthèse), après avoir joué en quelque sorte au funambule sur la mélodie. Je crois que pour parvenir à faire ça, il faut garder en tête ce premier motif et faire une sorte de variation instinctive, très libre. C'est spontané, inspiré et inspirant.

ça y est! J'ai trouvé quelle chanson me rappelle "On dit tant de mots": le premier changement d'accords est le même que ce petit bijou de Jacques Brel (dont le document ci-dessous est l'enregistrement original de 1956):



Brel retrouvera les mêmes accords pour une chanson intitulée "Voir" en 1958.

Cette chanson, même si elle n'était pas aboutie, lui correspondait déjà si bien ! C'est effectivement très intéressant de pouvoir visionner de tels documents, merci Jérôme ! N'ayant aucune connaissance musicale, je n'ai pas trop compris ce que Lil' Bear démontre, mais je lui fais confiance . Le parallèle avec les accords de J Brel m'est plus évident, bien vu, ou plutôt entendu ! Reste le plaisir d'assister à des moments rares, où l'artiste se donne vraiment pour faire passer quelque chose. Sans critique de ma part, la perfection de ce qu'elle recherche aujourd'hui est loin de cette spontanéité où son âme d'artiste se manifestait pleinement .

Très touchant et particulièrement intéressant pour le fan que je reste...
C'est comme découvrir un manuscrit inconnu d'un auteur que l'on chérit!
Merci Jérôme!

De mon côté je vois une débutante qui vient tout juste de décrocher la timbale de la notoriété (le 28 octobre) et qui sait rester simple, uniquement préoccupée de faire connaître sa nouvelle chanson...

Le texte ébauche déjà les thèmes auxquels elle restera fidèle toute sa vie. Pour une jeune fille de 18 ans, c'était tout de même bien différent des adaptations américaines branchées ou non (Oh oh chéri....)

On dit tant de mots
Sans y réfléchir
Qu'on ne sait plus
Qu'on ne sait plus trop
Ce qu'il veulent dire
Mots trop entendus

Plus on dit je t'aime
Et moins on y croit
Plus on fait de peine
Moins on en a soi

Si c'est toi un jour un autre demain
Viendra à son tour on sait très bien
Tu me quitteras ou je m'en irai
Et ni toi ni moi ne songe à pleurer

On dit tant de mot
Sans y réfléchir
Qu'on ne sait plus
Qu'on ne sait plus trop
Ce qu'ils veulent dire
Mots trop entendus

Malgré moi pourtant
J'aimerais te garder
Un peu plus longtemps
Je voudrais t'aimer

Mais si c'est toi un jour un autre demain
Viendra à son tour moi je n'y peux rien
Tu me quitteras ou je m'en irai
Ce n'est pas pour toi que je vais pleurer

Elle reste très modeste comme si elle n'avait pas encore intégré son succès (ce qui devait d'ailleurs être le cas).

La chanson est encore en phase "prototype" à mon avis et c'est après quand elle a eu un peu de recul qu'elle a dû se dire qu'il fallait l'écarter et ne pas l'enregistrer. Mais grâce à la télévision, on a quand même la trace de l'épure.

Au fait, sait-on qui est la camarade du petit conservatoire en question, et qui l'écoute avec attention ?

J'ai trouvé cette camarade aussi charmante qu'attentive, observant les accords, écoutant les propos, et souriant sur le dépit réaliste exprimé par sa "congénère".

Quant à la simplicité perçue par Jérôme, notons tout de même que Françoise regarde la caméra en jouant cette chanson pour sa camarade: n'y aurait-il pas là un brin de mise en scène?

Il fut un temps où j'avais l'enregistrement de l'émission du 10 novembre 1962 en son entier mais je n'arrive plus à remettre la main dessus... Si je la retrouve ce week-end je regarderai le générique au cas où la jolie inconnue pourrait y être identifiée...

A mon avis certaines séquences de l'émission étaient répétées avant d'être tournées pour bien évaluer le temps de l'émission. A ce titre j'imagine que Mireille devait souhaiter que les chansons présentées soient un minimum au point.

Saviez-vous qu'à cette même émission, Alice Donadel (qui deviendra ensuite Alice Dona) y faisait sa première émission et évoquait sa "manman" avec les "prétendus prétendants" devant Françoise et sa camarade bien sagement assises au premier rang !

J'ai fini par retrouver l'émission dans ma bibliothèque mais le nom de la camarade qui écoute Françoise Hardy n'est pas prononcé une seule fois dans l'émission et le générique reste muet à ce sujet. Le mystère reste donc entier.

Ce qui frappe dans le document ci-dessus avec Alice Dona(del) est qu'elle reste beaucoup plus "vieille France" dans son approche de la chanson, dans un style certes abouti, bien écrit, plein d'humour, qui plaît d'ailleurs à une partie de l'assistance partageant les mêmes influences (dont celle de Mireille probablement), mais tellement moins fraîche et moderne que Françoise Hardy, qui avait justement l'instinct ou l'envie - partagée par la génération yéyé - de s'éloigner de ces "vieilleries".

Néanmoins, je viens d'avoir la curiosité d'écouter des chansons plus tardives d'Alice, de 1964 et 1967 sur YT, et c'est nettement mieux, remarquablement élaboré, arrangé. Elle a donc vite évolué.