Essai De sa vie, elle avait presque tout raconté, sur son « amour fou », tout écrit. Mais il restait cette photo jaunie qui disait son âge aujourd’hui, la vieillesse et la maladie, qui lui permettait des avis… non autorisés.
On avait laissé Françoise Hardy sur « L'Amour fou », son dernier album, peut-être le plus beau, et un roman-confession portant le même nom. On la retrouve, trois ans plus tard, épuisée par la maladie, mais encore prête à prendre feu. Contre le sectarisme. Pour les belles âmes. Elle signe des « Avis non autorisés… » écrits noir sur blanc.
Cet essai, ce sont les coups de coeur et de gueule d'une anticonformiste pragmatique ? C'est une façon idéale de voir les choses. Je suis très individualiste disons, je déteste le consensus, j'exècre le politiquement correct et en même temps j'aime bien rester basique. La vie, ce sont des réalités concrètes. Peut-être ce livre sera-t-il jugé simplificateur par d'autres.
Vous êtes rarement là où on vous attend. Par exemple, on vous imaginerait plutôt à gauche et ce n'est pas le cas. Je suis au centre-droit. Je m'en suis rendu compte en écrivant ce livre. Les personnalités qui m'attirent le plus sont sans sectarisme, savent prendre du recul, sont modérées : à droite, Alain Juppé et François Fillon, à gauche, Hubert Védrine, probablement l'une des personnalités pour lesquelles je ressens le plus d'admiration. Et j'éprouve beaucoup d'affection pour Michel Rocard. Dans une interview croisée avec Juppé, que je cite dans le livre, ils se rejoignent sur les trois quarts des sujets.
Le clivage gauche-droite vous paraît donc dépassé ? Du côté des modérés sans doute. Mais pas pour la majorité de la gauch e française, la plus archaïque du monde, qui continue à dénigrer les gens qui gagnent de l'argent. J'ai horreur de la lutte des classes qui s'exerce continuellement dans ce pays, que j'aime par ailleurs et où je mourrai. Que ça plaise ou non, je prends la défense de Bernard Arnault et de François Pinault : ce sont de grands entrepreneurs, des créateurs d'emplois et des mécènes.
Vous parlez tout aussi librement de la vieillesse, de la maladie alors qu'on pourrait vous penser jalouse de votre intimité. Sur ces sujets d'intérêt général, je suis assez spontanée, je n'hésite pas. L'euthanasie a toujours été une préoccupation pour moi, même toute jeune fille. Les hommes politiques en France et les médecins sont totalement à côté de la plaque. En Suisse et en Belgique, ils ont compris que certaines personnes dont l'existence est insupportable ne souhaitent pas qu'on atténue leur souffrance mais veulent arrêter de vivre. Je parle aussi de la responsabilité religieuse. On ne s'en rend pas toujours compte, mais la pensée dominante dans notre pays est imprégnée de catholicisme et fait obstacle.
D'où vous vient cette soif de savoir, d'explorer des champs aussi complexes que l'économie ou la métaphysique ? Je lis tous les jours. Mais tout ne m'intéresse pas. Je n'aime que les livres romantiques en fait ou très pointus psychologiquement comme Agatha Christie que je dévore en ce moment. J'ai appris dans la presse qu'elle était parmi les auteurs favoris de Houellebecq.
« Un déplorable malentendu a mis fin à notre début d'amitié », dites-vous de lui. Je l'ai beaucoup apprécié au début pour son ton, son univers, notamment Extension du domaine de la lutte. Mais on s'en lasse. Il a cessé de m'intéresser et je n'aime pas son évolution physique, la manière dont il se présente, dont il se coiffe. Il se prend pour un artiste maudit mais il est devenu un épouvantail.
Vous confessez être sensible aux belles âmes. J'aime ce qui se dégage de Barack Obama par exemple. Comme avec Hubert Védrine, c'est du ressenti. Je suis très cérébrale mais en avançant dans le temps, je m'aperçois que mon instinct m'a rarement trompée.
Est-ce cet instinct qui vous a commandé d'éviter la scène ? Ce qui m'intéressait, c'était de faire des chansons en milieu fermé, clos, protégé. Je fais plus partie des voyeurs que des exhibitionnistes, et la scène ne me convenait pas. Et puis, je ne possédais pas les qualités vocales requises.
Après ce livre ? C'est la grande question. Ce livre n'était en rien prémédité. Depuis deux, trois ans, mon état de santé s'est beaucoup dégradé. Je ne pouvais envisager d'écrire des textes de chansons ou de retourner en studio. Cela demande une énergie que je n'ai plus. Bref, cela faisait un an que je ne faisais rien ( un temps), rien, rien… Et puis, parfois, on est une marionnette dans les mains d'anges gardiens. Je me suis souvenue de cette photo de ma mère et de mes beaux-parents à cet âge qui est aujourd'hui le mien. Cela ouvre le livre et le reste a suivi. J'ai travaillé tous les jours pendant plus d'un an. Cela a été un plaisir, un défoulement, une sorte de stimulus qui m'a aidée. Je ne savais pas si j'irais au bout, si ça intéresserait un éditeur, si c'était publiable. Maintenant, je ne sais pas ce que je pourrais faire. Pour l'instant, je ne vois pas du tout. Et ça, c'est embêtant. Peut-être quelque chose viendra à moi que mon ange gardien me soufflera. Ou peut-être vais-je mourir avant. On ne sait jamais.
Pourtant ce dernier album, « L'Amour fou », est une merveille. Il a été peu programmé et ce fut une déception. Surtout vis-à-vis des compositeurs qui m'avaient confié leur musique. La chanson ne m'intéresse plus du tout. Je la trouve banale, médiocre à de rares exceptions comme Calogero. J'ai entendu Le Portrait, j'ai acheté le disque, lui ai envoyé un mail. Par moments, c'est un grand mélodiste. Je suis fière qu'il ait bien voulu m'offrir Pourquoi vous ?, qui figure sur « L'Amour fou ». Quoi que je fasse, ça ne sera jamais aussi bien. n
Références. « Avis non autorisés… » aux Éditions des Équateurs, 240 pages, 19 €.
Nathalie Van Praagh
source : http://www.lamontagne.fr/auvergne/mag/culture/musique/2015/03/12/francoise-hardy-avis-personnel_11361383.html