FRANÇOISE HARDY : « Rechanter ? Sait-on jamais... »ENTRETIEN COORDONNÉ PAR ÉRIC BUREAU ET YVES JAEGLÉ AVEC ÉLISABETH KASTLER-LE SCOUR
06 décembre 2016, 7h00|0
Saint-Ouen (Seine -Saint-Denis), le 1er décembre. Après de graves ennuis de santé, Françoise Hardy a retrouvé sa force et son entrain.
« Miraculée » après une très grave maladie qu'elle raconte dans le livre « Un cadeau du ciel... », la chanteuse s'est confiée au siège de notre journal. Avec beaucoup de joie et d'humour.
Ce que l'on n'oublie pas, et qui réjouit encore plusieurs jours après, c'est son rire cristallin. Pas tout de suite, mais dès qu'elle a enlevé ses lunettes et s'est sentie à l'aise avec nos lecteurs, au point de partir dans une conversation à bâtons rompus de plus de 2 h 30, entrecoupée de rires et de beaucoup de complicité. Françoise Hardy est arrivée en avance, ce jeudi 1
er décembre. Les planètes sont parfaitement alignées : des lecteurs passionnés, et une grande dame que ne rebute aucun sujet, ni sa maladie, dont elle parle avec beaucoup de franchise dans son récit « Un cadeau du ciel... », ni Jacques Dutronc, qui reste une présence-absence essentielle, son fils Thomas, très proche, et la politique, qu'elle suit de près. Le ciel, peut-être, mais on a rencontré une femme qui a les pieds sur terre. Une icône qui mord à pleines dentLa maladies dans ce supplément de vie qui lui a été accordé. Le supplément d'âme, elle l'a toujours eu.
« Un cadeau du ciel », de Françoise Hardy, Equateurs, 186 p., 18 €. La maladie STEPHAN BILHEUXComment vous portez-vous après cette année 2015 éprouvante et tragique pour vous ?FRANÇOISE HARDY. Les jambes ne sont pas très fiables, les genoux non plus, pour ce qui est de se porter. (Elle sourit.) Sinon je vais plutôt bien. En janvier 2004, on m'a diagnostiqué un lymphome du Malte qui touche les voies digestives. Tout cela est très anxiogène mais ça allait. Les quatre dernières années qui ont précédé 2015, j'avais de plus en plus de soucis digestifs et autres. Je suis allée à l'hôpital pour qu'on vérifie si j'avais attrapé ou pas une grippe. En prenant une douche, je suis tombée sur le côté droit. Et mon dernier souvenir, c'est ma tête heurtant violemment le carrelage ; et après... black-out.
Au bout de trois semaines, le médecin qui chapotait tout a téléphoné à mon fils Thomas, qui venait chaque jour, pour lui dire que malheureusement c'était la fin et qu'il fallait faire revenir tout de suite son père de Corse. Il fallait que Jacques revienne le plus vite possible parce que le médecin, qui n'avait pas voulu m'administrer la chimio que requérait le lymphome pendant ces trois semaines très dures (mon poids était descendu à 39 kg), pensait que ça me tuerait. Et puis, foutu pour foutu, allez pour la chimio. Il avait besoin de l'autorisation et du père et du fils. Et ça a marché.
MONIQUE DE KERMADECVotre livre est un témoignage. L'avez-vous fait dans le but d'aider d'autres malades ? Ou pour exorciser votre propre maladie ?J'étais très fragilisée quand je suis rentrée chez moi après cinq mois d'hospitalisation. Le fait d'écrire m'a permis de comprendre des tas de choses. Par rapport aux personnes malades auxquelles j'étais susceptible d'envoyer un message positif, il y avait évidemment le fait que j'avais été sauvée, moi qui ai toujours été plutôt tout le temps médecine douce, médecine parallèle, qui ai toujours fui même le Doliprane, par des traitements lourds que tout le monde redoute. Ces chimios qui font tellement peur, dans certains cas, elles vous ressuscitent.
JOCELYNE CARDINEAUVous êtes restée cinq mois à l'hôpital. À quoi pensiez-vous sur votre lit ?Au début, on ne pense à rien parce qu'on est entre les mains des médecins. Je m'insurge contre l'expression « Elle s'est battue, son combat contre la maladie ». Non, ce n'était pas mon combat, c'était celui des médecins. Le malade, il est inconscient, il ne se rend pas compte de ce qui se passe. Et on est épuisé.
STEPHAN BILHEUXVous définiriez-vous comme une miraculée ?Oui, on peut dire que je suis une miraculée. Un ami qui venait tout le temps à l'hôpital m'a dit : « Quand je me réveillais le matin, j'avais peur d'apprendre que tu étais morte dans la nuit. » Thomas m'a raconté qu'il me lisait des textes de Brassens, parce qu'il adore Brassens et il sait que j'apprécie beaucoup aussi. Je n'ai aucun souvenir de cela, mais il me dit qu'il me tenait la main et, par moments, j'ouvrais les yeux et il y avait tellement d'amour qui passait entre nous. Moi, j'étais consternée quand j'ai su que le médecin l'avait appelé pour lui dire : c'est la fin. Cela a dû être très dur d'entendre ça.
ARNAUD DUFRENNEVous parlez beaucoup de Thomas dans le livre, vous semblez avoir un lien très fort avec votre fils...La première fois que le kiné a réussi à me faire faire trois pas, Thomas était là. Je ne voulais pas qu'il me voie, j'étais toute tordue. Il a pleuré un peu. C'est cela que j'ai du mal à raconter. Le kiné a interprété que c'était des pleurs de joie et moi, j'ai interprété autrement. En y réfléchissant, il devait y avoir un peu des deux. Alors que l'on me donnait morte peu avant, d'un seul coup j'arrive à faire deux pas, agrippée au kiné. On ne devrait pas infliger des choses comme ça à ses enfants, même quand ils sont grands.
Jacques Dutronc FRANCK OLLIVIERQuelle place occupe votre mari ? C'est uniquement comme ça que vous l'appelez dans votre livre, jamais Jacques Dutronc...Il faudrait trouver une explication psychanalytique. Je n'ai jamais pu l'appeler. Quand nous vivions ensemble, pendant vingt-quatre ans dans la maison à étages, quand il fallait que je l'appelle, je ne pouvais pas dire son prénom, cela m'était impossible, donc je disais : « Est-ce que tu m'entends ? » (Rires.) Je ne pouvais pas l'appeler « est-ce que tu m'entends » dans le livre, donc « mon mari », c'est plus simple.
FRANCK OLLIVIERComment vous êtes-vous rencontrés ?Jacques Wolfsohn, qui a été mon premier directeur artistique, lui a demandé de me faire une musique. Un jour, dans son bureau, j'ai aperçu un garçon affreux, qui avait des lunettes avec des verres de myope très épais et qui, en plus, était plein de boutons. Donc, j'ai à peine fait attention à lui ! Je l'ai retrouvé quand je faisais de la scène, je cherchais un guitariste. C'était avant qu'il ne chante. A l'époque, j'avais une petite Austin blanche et noire, j'étais arrêtée au feu rouge, et il était là. Je lui ai fait de grands signes. Il était pas mal, là, il commençait à être bien, blond, les yeux... Je lui dis : « Alors, est-ce que vous pouvez venir en tournée avec moi ? » Et il a été très évasif. Cela aurait dû déjà me mettre la puce à l'oreille. Je crois qu'un de ses principaux traits de caractère est d'être évasif, donc très insaisissable, très mystérieux. C'est aussi ce qui m'a séduite. Et j'ai su par la suite qu'il était fiancé à cette époque-là. Jacques, trois jours avant de se marier, alors que tout était organisé, a décidé de tout annuler ! Je crois qu'il avait déjà des vues sur moi... Moi, j'avais rompu avec Jean-Marie Périer. Cela s'est fait petit à petit. On ne savait jamais s'il plaisantait. Il m'avait envoyé une carte postale avec comme en-tête : « Ma chère et future épouse. » (Rires.)
GRÉGORY GUYOTC'est vous qui l'avez demandé en mariage ou c'est lui ?J'ai eu une alerte de santé. Un avocat m'a expliqué que nous avions intérêt l'un et l'autre à nous marier car s'il m'arrivait quoi que ce soit, du jour au lendemain Jacques ne serait plus chez lui dans cette maison où nous vivions dans le XVI e. Le mariage était à l'image de la relation que nous avons eue, puisque lui est arrivé en Corse avec ses copains dans un avion, moi avec mes témoins dans un autre. Et on ne s'est pas vus de la soirée. J'étais fatiguée par la petite opération que j'avais subie. Il est arrivé à 3 heures du matin, et évidemment je ne dormais pas. Et c'était très émouvant. Il m'a juste dit dans l'oreille : « Est-ce que tu es contente ? » (Rires.)
JOCELYNE CARDINEAUPourquoi restez-vous mariée avec Jacques Dutronc ?Mais c'est lui qui le veut.
Il a pourtant refait sa vie.
Oui, mais c'est quand même moi qui me suis détachée la première, il m'a rendue malheureuse pendant longtemps. Mais quand j'y repense aujourd'hui, je n'ai vraiment aucun ressentiment. J'éprouve comme une gratitude, je lui suis reconnaissante de m'avoir fait vivre des émotions aussi fortes.
Vous l'aimez encore ?Ah mais, c'est uniquement dans le registre de la tendresse. Je pense que c'est réciproque. Et quand on a vécu les plus belles années de sa vie avec quelqu'un, ça crée un lien. Mais enfin, bon, je ne pourrais pas vivre avec lui comme il vit avec sa compagne. Ce n'est pas possible. Un jour, il y a longtemps, au sujet d'une autre relation, je lui avais dit qu'il devait s'engager. Et c'est là qu'il m'a dit : « Je ne divorcerai jamais. » Que voulez-vous que je dise ? (Rires.)
La musique ARNAUD DUFRENNEJacques Dutronc reprend la scène. Cela ne vous redonne pas l'envie de chanter ?J'ai chanté sur scène de fin 1962 à 1968. Ce n'est pas cassée de partout, à 72 ans que je peux envisager une chose pareille. Ce n'est pas seulement que je ne voulais pas de cette vie ou que je voulais m'occuper de Thomas quand il était petit. Mais contrairement à Jacques, qui n'est pas du tout limité vocalement, moi je le suis.
JOCELYNE CARDINEAUEt revenir en studio ?Ça, je ne sais pas. Je ne peux pas dire : plus jamais. Je ne me vois pas écrire un livre à nouveau. Dans « Un cadeau du ciel », c'était très important pour moi d'aborder le domaine de la spiritualité qui m'a considérablement aidée.
GRÉGORY GUYOTVous aviez enregistré un duo avec Julien Doré...J'étais très contente qu'il me demande de faire cela avec lui. Il chante extrêmement bien. Pour l'anniversaire de Jacques, il y a eu une émission en Corse et, parmi les nombreux invités, il y avait Julien Doré. J'ai demandé à Jacques ce qu'il en pensait. Moi, je l'ai adoré tout de suite. Jacques m'a dit d'un air admiratif : « Il a tout compris. »
Vous avez côtoyé Bob Dylan. Que pensez-vous de son Nobel de littérature ?Je suis réservée, parce qu'écrire des chansons ce n'est pas du tout pareil que d'écrire des livres. Beaucoup d'écrivains sont incapables d'écrire des chansons et beaucoup d'auteurs de chansons sont incapables d'écrire des romans. Je pense que le prix Nobel aurait dû instituer un prix spécial chanson. Bob Dylan, c'est de très haut niveau. En France celui qui l'aurait le plus mérité, c'est Brassens.
FRANCK OLLIVIERQu'est-ce qui vous a donné envie d'être chanteuse au tout début ?La musique n'était pas dans ma programmation sociale. J'avais découvert un peu par hasard une station anglaise qui diffusait à longueur de temps Elvis Presley, Cliff Richard, les Shadows... Il n'y avait que cela qui m'intéressait. Je peux le dire aujourd'hui, mais il y a une chanson sur mon premier 45 tours qui s'appelle « J'suis d'accord » qui est calquée sur une chanson de Cliff Richard, « D in love ». A l'époque, je rêvais d'être programmatrice radio. Quand j'ai été reçue au bac, ma mère a demandé à mon père de faire un effort et de m'offrir un cadeau. J'ai hésité entre un petit transistor qui m'aurait permis d'écouter ma station anglaise à longueur de temps et une guitare. Je ne sais toujours pas pourquoi j'ai pensé avoir une guitare, parce que je ne savais pas en jouer. Je pense que c'est venu de là-haut.
La politique MONIQUE DE KERMADECAvez-vous fait le thème astral des candidats à la présidentielle ?A une époque, je l'avais fait pour Alain Juppé et je me suis aperçue que c'était le même que le mien. C'est un grand sentimental introverti. Fillon comme Macron sont nés à la culmination d'Uranus, ils ont besoin de se projeter dans des projets ambitieux et s'engager à fond.
FRANCK OLLIVIEROn vous a vu voter à la primaire de la droite, avez-vous un favori pour l'élection ?J'avais une préférence pour Juppé parce qu'il est plus modéré que Fillon, je me sens plus centriste que de droite. Macron m'intéresse aussi. Je peux très bien voter pour lui. J'ai quasiment toujours voté à droite, mais modéré. Dans les années 1950, toutes les petites gens étaient de droite, je viens de ce milieu comme Sylvie, Johnny, et Sheila. Cela m'a conditionnée. C'étaient les bourgeois et l'intelligentsia qui étaient de gauche et quelques ouvriers par-ci par-là, pas les artistes de la vague yé-yé.
ARNAUD DUFRENNELes extrêmes vous inquiètent ?Oui. Cela me rend malade de lire leurs programmes à l'heure de la mondialisation. Le repli sur soi est voué à l'échec. Moi, je me sens européenne. Comment peut-on imaginer que l'on puisse s'en tirer seul dans un monde aussi difficile ?
JOCELYNE CARDINEAUEtes-vous croyante ?Oui, mais je ne suis pas d'une seule religion. Car les religions sont excluantes. Je pourrais être bouddhiste. Le dalaï-lama dit que toutes les religions se valent et que c'est très bien comme ça.
GRÉGORY GUYOTQuels sont vos projets ?Je veux comprendre les bases de l'astrophysique et de la physique quantique, le big bang. Ce n'est pas que je crois à la réincarnation, mais il y a tant de choses à apprendre, il faut que l'on revienne ! (rires.) Je ne sais pas si je serai encore là dans un an. Il suffit que j'attrape une bronchite pour que je meure (rires.) Il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Mais c'est vrai.
Le Parisien
source : http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/rechanter-sait-on-jamais-06-12-2016-6418329.php