L’invitée - Françoise Hardy, chanteuse « L’époque actuelle me terrifie »
L’amour, la mort et la maladie, la mélodie. Françoise Hardy sort Personne d’autre , album miraculeux, construit dans la douleur, et ténébreusement magnifique. Elle est restée l’égérie des sixties dans le cœur des Français.
Françoise Hardy : « La seule chose qui m’intéresse, c’est la mélodie ». PHOTO B. Peverelli Question simple et essentielle : comment allez-vous ?
Je ne sais pas. J’espère aller bien mais je n’en suis pas sûre. Au début du lymphome, mon physiothérapeute trouvait les mots justes : « Il y a des gens qui se sentent très mal mais ne sont pas aux portes de la mort. D’autres se sentent très bien et ils sont aux portes de la mort ». J’étais tellement heureuse d’entendre ça, c’est resté gravé dans ma tête.
Revenir avec un album, c’est « un cadeau du ciel », pour faire référence à votre livre de 2016 ?
Les plus beaux cadeaux du ciel, ce sont les mélodies que vous offrent des musiciens qui vous font confiance. Cette fois elles sont arrivées sans que je ne demande rien. C’est sur le plan de l’enregistrement que ça a été très difficile. Au bout de quatre prises j’ai eu un problème de santé. J’ai cru que c’était un mal de gorge mais ça ne passait pas : une otite indolore avait tout infecté.
Vous aviez des doutes sur votre capacité à chanter ?
Non, pas trop. Même si j’ai toujours des doutes : comment parvenir à capter toutes les subtilités de la chanson ? J’ai pris de la cortisone pour Le Large , chanson capitale sur l’album, car la voix n’était pas revenue après trois semaines. Je pensais que j’avais des reflux à cause du trac provoqué par la chanson, en réalité c’était lié au traitement. Les semaines qui précédaient l’enregistrement, j’ai beaucoup travaillé chez moi, sur mon huit pistes.
Y a-t-il encore du plaisir dans la création ?
(long silence). Oui et non. J’en avais eu sur le dernier album L’amour fou. Tout s’était fait facilement mais là il y avait trop d’angoisses.
La mort rôde sur Le Large comme sur Train spécial sans que ce soit forcément mortifère.
J’avais écrit les paroles de Train spécial en août. A mon âge, Train spécial , ça m’emmène vers le cosmos, la paix. Je n’ai fait le rapprochement entre le texte de la Grande Sophie et le mien qu’après coup. La mort, j’y pense tout le temps. Comme tous les gens de mon âge. Parce qu’on a des trucs bizarres qui arrivent. On s’interroge : est-ce le début de la fin ? Est-ce que le lymphome repart, en ce qui me concerne ? La semaine du décès de Johnny, j’ai fait plusieurs malaises vagaux atroces à cause de la cortisone. C’était épouvantable. Je me disais : pour le timing, ce n’est pas terrible de mourir en même temps que les obsèques de Johnny !
L’album dégage une nouvelle fois un fort sentiment de mélancolie. Est-ce votre patte ?
Oui, c’est ce que j’ai toujours fait ! Et la seule chose qui m’intéresse dans cette activité artistique, c’est la mélodie. Je ne me trompe pas trop : je sais faire la différence entre une bonne et une mauvaise, une fabriquée et une inspirée. Les plus belles sont lentes, avec une dose de mélancolie : dans les concertos, les plus beaux moments sont les adagios. La chanson Personne d’autre est de cette veine, c’est ma préférée. Elle résume la relation que j’ai eue avec Jacques, avec une mélodie envoûtante que je ne cesse de réécouter. Ensuite, il suffit de trouver les mots. Enfin, « suffit » : ce n’est pas toujours une mince affaire !
Etait-il imaginable que Jacques Dutronc ne soit pas présent sur cet album ?
Il ne m’est pas arrivé tellement de choses dans ma vie personnelle. En revanche, il m’est arrivé des choses majeures, cette rencontre en est une… De nombreux quadragénaires, plein(e) s de charme, de qualités humaines, sont seul(e) s. Quelle chance j’ai eu de découvrir le grand grand amour à 23 ans, que ça ait duré aussi longtemps. Et que ça continue – autrement- mais que ça continue quand même. On a toujours une tendresse, une gratitude infinie pour la personne avec laquelle on a vécu les plus belles années de sa vie.
On vous sent proche de votre fils Thomas. Comment décririez-vous votre sens de la famille ?
Je ne l’avais pas au départ, je n’avais que ma mère… Mais à partir du moment où vous avez un enfant avec celui que vous aimez follement, ça crée une famille. Et puis il y a la famille de cœur, les amis très proches, celle-là, je l’ai. Quelques-uns ont disparu mais je peux toujours compter sur Etienne Daho. A une autre époque il y avait Catherine Lara. Ma vie a changé quand j’ai eu Thomas. Véronique Sanson, que j’adore, appelle encore Thomas son « bébé », elle sait qu’il a été bercé par ses chansons. Il y a des liens très forts, comme avec Sheila qui a été adorable quand j’ai été malade, ou Sylvie.
Quel regard portez-vous sur cette génération de chanteuses ?
On était beaucoup moins nombreux à cette époque-là. L’époque actuelle me terrifie : il y a beaucoup trop de livres, trop de disques, trop de films toutes les semaines. Il n’y a pas de place pour tout le monde. Etre programmateur, ça doit être quelque chose. Du coup je ne suis pas très ouverte à la nouveauté, je préfère me rabattre sur des livres qui m’ont marqué, comme celui de l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan.
Qu’est ce qui vous « terrifie » dans la société actuelle ?
Le terrorisme évidemment. On a l’impression d’être à la fin de beaucoup de choses. Le patrimoine, par exemple : tout tombe en ruines. Les églises, qui peut les ravaler à partir du moment où les caisses sont vides ? La dette, l’économie mondiale, tout ça me fait très peur.
La politique aussi ?
Je suis très contente d’avoir un jeune président qui rayonne, entouré d’une équipe jeune. Je connais son ciel de naissance…
Est-il jupitérien ?
Non, contrairement à ce que l’on dit, il est uranien. Il est né à une heure forte d’Uranus : c’est donc une personne qui a besoin de se focaliser sur un seul objectif et il va au bout de sa mission. Je ne suis pas d’accord avec toutes ses mesures mais on peut avoir confiance en lui. Grâce à lui, la France a une meilleure image dans le monde.
L’évolution des mœurs a commencé avec le rock’n’roll, pas avec mai 68. On va fêter les cinquante ans de Mai 68. Que représente cette période pour vous ?
Pour moi, rien. On a l’air de dire que grâce à Mai 68 on a connu des évolutions. Bien sûr il s’est produit des choses intéressantes, notamment des slogans, mais Mai 68 n’est qu’une résultante des progrès en amont : l’évolution des mœurs a commencé avec le rock’n’roll un peu partout. Dans les autres pays, il y a eu la même évolution sans un Mai 68 comme chez nous !
La condition des femmes a-t-elle évolué depuis cette époque ?
J’ai utilisé la contraception avant qu’elle ne soit légalisée. Comme j’ai été élevée par une maman seule et célibataire, un modèle de liberté, j’ai toujours pensé qu’il fallait être indépendante en tant que femme.
Comment vivez-vous le débat autour du harcèlement ?
Sur ce type de sujet, j’aime qu’on aille au-delà de la surface émergée de l’iceberg. Il faut sortir du clivage hommes-femmes à mon sens très binaire. Pourquoi certains hommes se comportent-ils mal ? Pour moi, c’est LA question, même si la réponse peut être différente d’un homme à l’autre. Derrière chaque homme, il y a une maman. Même si on peut avancer des circonstances atténuantes pour certaines, beaucoup ne sont pas en mesure d’apporter à leur fils l’éducation nécessaire. La première responsabilité est là ! L’homme qui a eu une maman aimante, capable de transmettre des valeurs, se comportera bien. Par ailleurs pourquoi les femmes se sont laissé faire durant si longtemps ? Elles y sont également pour quelque chose.
Source : https://www.dna.fr/culture/2018/04/08/l-epoque-actuelle-me-terrifie