30 avril 2018 - L’âge de la résilience de Françoise Hardy (Benzine)
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Jérôme Administrateur
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(#) Sujet: 30 avril 2018 - L’âge de la résilience de Françoise Hardy (Benzine) Lun 30 Avr 2018 - 9:05
L’âge de la résilience de Françoise Hardy
30 avril 2018 Greg Bod
Loin des aléas de la mode et du temps, les vétérans de notre scène française ont encore de beaux restes comme Françoise Hardy et son Personne d’autre.
Profitons de ces quelques mots pour le dire haut et fort, nos vétérans de la scène française, pour beaucoup d’entre eux issus de cette scène Yéyé qui ne sera qu’un évènement voué à être éphémère, 50 ans plus tard, sont encore bien là. Parfois amoindris par la maladie, par l’âge mais tellement présents. Rappelez-vous de Christophe et ses beaux vestiges du Chaos, Alain Chamfort et son Désordre des choses et Françoise Hardy et ce clair-obscur dernier album.
Si je dois être tout à fait honnête, comme Bowie le disait en son temps, Françoise Hardy est la plus belle femme du monde (après la mienne) mais en plus de ce seul caractère esthétique qui a finalement peu d’intérêt, elle est sans doute également l’une des grandes auteurs de la chanson française que l’on a parfois un peu oublié comme William Sheller ou Yves Simon. Petite exception si vous l’aviez oublié, Françoise Hardy est une femme et une belle empreinte de la féminité dans l’art délicat et subtil de la chanson.
Si l’on devait tirer un fil d’Ariane entre elle et une parenté, on pourrait tendre une corde entre Cora Vaucaire, Barbara, Juliette Greco mais aussi Marianne Faithfull, le Swinging London des sixties. Ce qui rend Françoise Hardy si pertinente c’est qu’elle a toujours été moderne avant l’heure.
Elle qui est capable de citer le chanteur suisse Jean Bart et de le reprendre avec Alain Delon ou encore d’apaiser Damon Albarn, elle est de tous les territoires et de toutes les textures. Le propre des chanteurs populaires, c’est qu’ils accompagnent nos vies, les Delpelch, les Moustaki et cette dame donc. Ils sont la marque d’un temps passé, elle est de chaque temps. Il n’y a pas une Françoise Hardy mais Mille. Certains préfèrent la fraîcheur de la jeunesse, Mon Amie La Rose, d’autres le sublime La Question. Même sur ses disques les plus faibles, on y croise des joyaux que beaucoup rêveraient d’avoir un jour écrit…
Les dernières nouvelles que nous avions eues de la dame n’étaient pas rassurantes, on la savait malade. Personne d’autre est nourri de cette expérience, de cette épreuve passée. C’est un disque ouvert, de retour à la vie et de renaissance. On pensera souvent au Danger cet album de 1996 composé avec Rodolphe Burger, en particulier sur le rêveur A Cache-cache. Mais si l’on devait mettre une proximité en évidence, ce serait sûrement avec Christophe, on retrouve ce même jeu avec les sommets dans la voix comme un cri murmuré dans Dors Mon Ange.
« Ma mémoire se trouble un peu Elle invente me prend en traître Pour des signaux creux Autre vie autre mot en pure perte »
Françoise Hardy a toujours été tiraillée entre tentations classiques voire académiques et perturbations Pop, quelque part un no man’s land entre Mireille et les lignes claires de Cole Porter. Le titre qui donne son titre au disque ou encore Un seul geste rappelleront Barbara. Bien accompagnée comme toujours sur ce disque, Françoise Hardy collabore avec Maissiat qui prouve encore tout le bien que l’on pense d’elle le temps d’un déchirant Quel Dommage avec son instrumentation fin de siècle décadent. On pourrait citer le titre plus anecdotique du disque, cette composition de Yael Naim, You’re my home. On a beau le connaître par cœur ce Seras-tu là de Michel Berger, on est toujours saisi par sa beauté. Sans doute un jour, faudra-t-il réévaluer l’œuvre d’un auteur trop rapidement classé dans les têtes de gondoles de nos supermarchés ?
Ecouter Personne d’autre, c’est entendre dans le coin de l’oreille ces mots de Henk Hofstede des Nits :
« In the rooms of this home I saw the pictures of the family still young And I knew they were all dead and gone »
Train spécial pose un regard sur notre monde hyperconnecté avec ses accents de Foule sentimentale. Bouleversante, Françoise Hardy l’est bien souvent, en particulier dans ses lignes brisées qui ne parviennent à se rejoindre en parallèles. Brumes rappelle la jeune femme de 1971, La Question. Etrange paradoxe de voir une femme dont le visage se marque de microsillons qui dit la jeunesse.Trois petits tours et son ton faussement enjoué rappellent les travaux de JP Nataf. Belle idée d’ouvrir un peu les fenêtres le temps de quelques minutes dans ce disque assez introverti. Sur le déchirant Le Large, elle prend même des textures à la Liz Frazer, elle y dit l’inévitable et le bout du chemin vers lequel nous allons tous, ce large si paisible et tranquille. Et de conclure Personne d’autre avec Un mal qui fait du bien , une miniature toute en suspension et en apesanteur. On se plait à s’imaginer ce que donnerait une collaboration entre la dame et les Facteurs Chevaux, Sammy Decoster et Fabien Guidollet qui, assurément ranimerait une belle part d’étrangeté dans l’univers calme mais envoûtant de Françoise Hardy.
Quand on parle d’un disque, on décrit parfois l’énergie vitale d’une composition comme si c’était le dernier mot que poserait l’artiste,le dernier disque, le dernier souffle. Ici, ce n’est absolument pas cela. C’est une déclaration de vie et d’amour de la vie avec ses accidents et ses chagrins car on est bien obligé d’accepter les travers pour mieux les supporter, car on est bien obligé d’accepter ce qui fait mal pour apprécier le bien, c’est cela en somme un mal qui fait du bien et Personne d’Autre est un mal qui fait assurément du bien.
Greg Bod Françoise Hardy – Personne d’autre Sortie le 06 avril 2018 Label : Parlophone Music France