Cette chanson est miraculeusement belle. Si on n'écoute que la musique, l'enregistrement, le chant, les arrangements, la fluidité du tout dont les mots et leur simplicité font partie intégrante, c'est une des plus belles choses qu'elle ait enregistrées. Et c'est comme ça qu'il faut écouter les chansons...
Je ne comprends pas vraiment qu'on veuille prêter tant d'importance à une supposée substance textuelle. Il est clair, pour moi, que Françoise prend la chanson comme un moyen d'exprimer ses sentiments comme lorsqu'on se confie fugitivement dans un journal intime. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu chez elle une prétention à écrire des poèmes ou des textes profonds. Cette fugacité, cette légèreté fait le charme de la pop ou de sa pop d'alors à elle, comme de son romantisme, ou son sentimentalisme.
Prenons une chanson, par exemple, aux textes plus "mûrs": "La question" - qu'est-ce que son niveau textuel plus "relevé" apporte de plus? Pour moi, que dalle. Je ne ressens pas davantage de choses dans ce texte, que je trouve un peu trop complexe. Ce qui me fait craquer dans cette chanson, c'est la mélodie du piano en contrepoint, et son atmosphère, dont les paroles font aussi partie, d'ailleurs (une autre esthétique, somme toute). Pour moi, les chansons doivent être écoutées à l'état de buées, dans leur homogénéité. Leur perfection, quel que soit leur degré de maîtrise technique (musicale et parolière), tient dans cette homogénéité.
A mon avis, considérer "Je pensais" comme un bouche-trou sur ce disque est une erreur grossière - et quand bien même ç'eut été le cas! Les chansons vont leur chemin, et peuvent surprendre leurs auteurs eux-mêmes!
Cet enregistrement est sublime, car sa musique atteint un degré d'intimité exceptionnel, parce que sa musique crée son propre monde, un monde affectif, chaud, direct. C'est peut-être pour ça qu'on fait de la musique? Pour être plus immédiat... voire pour se passer de mots. En quelque sorte, Françoise ne faisait que mettre des mots sur une musique, juste pour illustrer cette musique. C'est ce qui est passionnant dans le langage. Ce qui est remarquable, c'est le jeu de la guitare acoustique: j'ignore qui l'accompagne, mais ce qui est fait là est magnifique, et caractérise d'ailleurs une bonne partie de ce disque de 1965. Rien que l'intro de guitare semble tout dire, ou tout annoncer. La façon dont cet enregistrement est exécuté, la façon dont il est arrangé, c'est la clé d'une bonne chanson. C'est en tout cas ce qui caractérise l'art pop des années 60 dans ce qu'il a de meilleur. Et si ce fut fait ici inconsciemment, accidentellement ou instinctivement, ce n'en est que plus beau, bien sûr. Mais je doute que les arrangeurs de "Je pensais" aient été inconscients: Françoise avait su s'entourer, ce n'est sans doute pas pour rien qu'elle préférait enregistrer outre-manche.
Autre réflexion: le temps béni des années 60, c'est aussi celui où on se donnait la peine d'arranger brillamment d'innocentes ritournelles. Quand la chanson n'était pas trop sérieuse ni pompeuse: quand la chanson restait chanson, quoi. L'art léger est extrêmement louable, et plus fondamental qu'on ne veut peut-être bien l'admettre. Pourquoi suis-je régulièrement plus enclin à me passer une chanson des Beatles qu'une symphonie de Beethoven? Comment passez-vous vos journées? Etes-vous du genre recueilli, ou prenez-vous chaque jour comme il vient, en vous laissant caresser par sa fugace clarté?