« J'ai toujours peur de manquer d'inspiration »THIERRY COLJON
mercredi 24 mars 2010, 10:17
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Françoise Hardy avoue que ce disque fut des plus difficiles et douloureux à réaliser.
EMI.
Quatre nouveaux partenaires de marqueArthur H Le fils de Jacques Higelin – qui sort bientôt son nouvel album qu'il défendra, en solo, aux Nuits Botanique le 16 mai – a l'honneur de clore le disque avec « Les mots s'envolent », une perle délicate produite par Edith Fambuena.
Jean-Louis Murat Le disque était déjà terminé quand Françoise a reçu de l'Auvergnat cette chanson en anglais, « Memory divine ». Virgin voulait une traduction française. Murat a dit non. Françoise a voulu changer lick par live a late passion. Murat a dit non
La Grande Sophie La benjamine, sur son dernier disque, a travaillé avec Edith Fambuena qui réalise ici deux chansons. Quand Sophie a su que Françoise aimait beaucoup sa chanson « Quelqu'un d'autre », elle lui a envoyé « Mister » qui suit les traces de M.
Calogero Monsieur Tube a une nouvelle fois fait très fort en offrant à Françoise la musique de « Noir sur blanc ». Pour le texte, Françoise a travaillé avec l'ami de Dave, Patrick Loiseau. Calogero a respecté la maquette et ça, Françoise aime beaucoup.
ENTRETIENFrançoise Hardy est venue à Bruxelles la semaine dernière pour nous parler de son nouveau disque. La mine toujours aussi fatiguée, n'aimant guère ces journées trop chargées, elle reste néanmoins toujours aussi charmante, toujours aussi intéressante.
D'abord félicitations pour le succès de votre livre…Je ne m'y attendais pas du tout car je ne suis pas d'un optimisme débordant. Mon éditeur espérait en vendre cent mille et j'avais peur qu'il soit désappointé. J'avais l'impression que je n'avais rien à raconter, vu que ma vie se passe entre quatre murs. Ce que j'aime.
Après ce travail de prose et de réflexions sur votre vie, l'écriture de nouvelles chansons a dû vous paraître plus aisée, non ?Oui, c'est plus facile, a priori. Pour les chansons, il suffit d'avoir de très bonnes mélodies pour qu'en général, cela déclenche le processus d'écriture. Mais comme je ne suis pas quelqu'un de serein, que j'ai toujours peur de ne pas arriver à faire quoi que ce soit, de ne pas avoir d'inspiration, de faire tout mal… Ça me met aussi dans des états d'angoisse. Ceci dit, pour une chanson, on part aussi d'une page blanche. Il faut trouver les mots différents, rester simple. Ce n'est pas rien. En plus, début 2009, j'étais mal dans ma tête. Je pensais que je n'y arriverais pas. L'angoisse est ma première nature. Par contre, l'excitation de la mélodie vient toujours compenser cela. J'ai plaisir à l'écouter. Je suis toujours tentée.
Dans votre livre, vous racontez bien les nombreuses fois où la réalisation d'un disque s'est mal déroulée. Ici, on a l'impression que tout s'est mieux passé…Détrompez-vous. Pour moi, ce disque fut un des plus difficiles, des plus éprouvants à faire. Il y a eu un premier producteur, Mark Plati, qui est excellent mais il y a eu tout un malentendu. C'est de ma faute. Quand mon ami Alain Lubrano est revenu de New York avec les rythmiques de sept chansons, j'ai trouvé ça tout à fait insuffisant. Je n'avais pas réalisé qu'ils avaient fait ça en deux jours. J'ai donc pris la difficile décision d'arrêter avec Plati qui a été d'une extrême gentillesse.
Restait Alain Lubrano avec lequel vous travaillez depuis longtemps…Je le connais depuis plus de vingt ans maintenant. Mais chaque fois qu'on travaille ensemble, on a des conflits très importants. Il est plus jeune que moi, on n'a absolument pas les mêmes goûts et chaque fois, je me dis que je ne travaillerai plus avec lui. Mais il est le seul à m'apporter des chansons up tempo qui me plaisent. Sur lesquelles j'ai envie d'écrire et que j'ai envie de chanter. Je ne supporte pas quand, en studio, Alain s'écarte des maquettes que j'ai bien aimées. Calogero a justement fait l'inverse.
Il a composé la superbe mélodie de « Noir sur blanc », le premier single. Un vrai tube en puissance…C'est lui qui a eu l'idée de me faire parvenir une mélodie. C'était tellement bien et abouti que j'ai cru que c'était une des chansons de son disque à laquelle il avait renoncé. Du coup, il a fait en studio ce que j'avais d'abord entendu. Avec Murat aussi, je n'ai eu aucun problème. Ce n'était pas prévu, elle est arrivée en fin de course. On a fait deux séances de trois heures pour sa chanson, c'est tout. Cela fait longtemps que je n'avais pas enregistré une chanson pour laquelle les choses se passent aussi vite et aussi bien.
À côté des « anciens », d'autres petits nouveaux apparaissent dans votre univers…Ce n'était pas du tout prévu. Moi, je n'ose pas demander à Calogero ou Murat. C'est leur idée. Ma firme de disques a pris l'initiative, sans m'en parler, de demander des chansons à beaucoup d'artistes français. Je les ai presque toutes refusées car elles n'avaient pas d'intérêt pour moi. Arthur H, ça fait longtemps qu'il souhaitait écrire pour moi. Il m'avait écrit une lettre dans ce sens mais j'avais un peu oublié. « Les mots s'envolent » conclut bien l'album. La Grande Sophie a su que j'aimais beaucoup sa chanson « Quelqu'un d'autre » et m'a contactée. On correspond toujours. Elle m'a envoyé plusieurs chansons mais je n'en ai pris qu'une car je n'aime pas faire trop de chansons d'un même artiste, surtout s'il est connu car chacun a son style bien défini. Je prends donc la meilleure.
« Champ d'honneur », est-ce vrai que Jacques (Dutronc) voulait vous la piquer pour son concert ?Quand je l'ai fait entendre à Jacques, il m'a dit :
« Je ferais bien une chanson comme ça, il faut que vous me la donniez. » Mais je ne sais pas à quel point il était sérieux. On ne sait jamais avec lui. Mais c'est vrai que c'est une des chansons fortes de l'album.
Quand on lui parle de son prochain album, il dit qu'il n'y en aura pas. On a comme l'impression qu'il aimerait que Thomas s'occupe de tout…Oui, mais Thomas a d'autres choses à faire. Je l'ai dit à Jacques :
« Laisse Thomas vivre sa vie. Faut qu'il écrive pour lui. » Mais c'est vrai que « Nasdaq », de Thomas, Jacques aurait très bien pu la chanter.
Déjà que Thomas a la même voix que Jacques à l'âge de 20 ans…Ah non, je ne trouve pas du tout. Thomas a une voix plus douce, avec un timbre très différent. Jacques, on entend à sa voix que c'est une force de la nature. Thomas, on entend à sa voix qu'il est plus fragile. Moins que moi, Dieu merci.
C'est vrai que Jacques, il envoie sur scène… Oui, alors que ça fait dix-sept ans qu'il ne chante plus du tout. Il ne chante jamais à la maison. Cet été, il a pourtant picolé comme jamais, sachant qu'il devrait arrêter durant toute la tournée.
Thomas nous a rappelé qu'avoir travaillé ensemble tous les trois ne fut pas un très bon souvenir…Oui, c'était pour l'album de duos. Je voulais reprendre cette chanson de Jacques, « Amour toujours, tendresse caresses » que j'adore par-dessus tout. Notre idée a été que Thomas la réalise. Moi, en studio, je suis tout sauf décontractée. Ce qui s'est passé d'horrible, c'est que Jacques, la veille de l'enregistrement, arrive en disant qu'il faut tout annuler, qu'il ne pourrait pas le faire car ce n'était pas sa tonalité. On a dû l'amener tout doucement vers le micro pour faire un essai. C'était tout à fait sa tonalité bien sûr. Le lendemain, il n'était pas dans de bonnes dispositions, il l'a chantée de façon lugubre. Finalement, j'aime le résultat. Mais pour Thomas, c'était trop tendu, l'expérience n'a pas été une partie de plaisir.
Quand vous chantez : « Au diable les vieux refrains vulgaires », pensez-vous à quelqu'un en particulier ?Je pense aux propos répétitifs et démagogiques que nous tient la majeure partie du monde politique. Je fais allusion à ça plus qu'à des chansons. Ça m'affecte alors que je ne devrais pas pour si peu. L'actualité m'inspire comme, dans « Champ d'honneur », où je parle de catastrophes à la chaîne…
« Je ne vous aime pas », très beau titre, vient de Danielle Darrieux qui le dit dans « Madame de… » de Max Ophüls.Je m'en suis souvenue en entendant une interview de Danielle Darrieux. J'ai revu le film entre-temps. J'ai aussi revu hier
La vérité sur bébé Donge. Quelle merveille ! C'est mieux de le voir aujourd'hui. Ce film est un résumé conjugal de la plupart des femmes. J'adore regarder de vieux films. En littérature aussi, je lis les auteurs du passé. Ceux qui paraissent aujourd'hui ne m'intéressent absolument pas, à l'exception de Houellebecq ou Modiano. Ou alors celui de mon ami Olivier Bellamy sur Martha Argerich. C'est un livre absolument passionnant.
(source : http://www.lesoir.be/culture/musiques/2010-03-24/j-ai-toujours-peur-de-manquer-d-inspiration-760468.shtml )