Françoise Hardy dans Elle en 1965 (5ème extrait)

Dans le numéro de Elle du 25 janvier 1965, Claude Berthod proposait à Françoise Hardy de mieux la faire connaître le temps d'un tête à tête.

J'AI TOUJOURS ÉTÉ SEULE. En classe, retranchée derrière mes bonnes notes et mes dictionnaires. A la maison, attendant des heures, en écoutant la radio, le retour de ma mère qui rentrait tard de son travail. Maintenant seule en face des chanteurs-usines, soutenus par leur clan, leur manager, leur publicité, leur public. J'en souffre parce que souvent j'aurais besoin, moi aussi, d'être conseillée, entourée, encouragée, mais je crois que je ne supporterais pas longtemps un "maître" qui me souffle et me téléguide. Quant aux parasites réconfortants, ce n'est pas dans mon style ni dans mes moyens : je gagne nettement moins que la plupart de mes "concurrents".

JE N'AI AUCUNE ENVIE de me marier. Comme il m'est impossible à moi d'être sûre et rassurée, j'aurais vraiment tout à y perdre et rien à y gagner : un amoureux un peu inquiet (beaucoup moins que moi évidemment) contre un propriétaire satisfait. Contre un homme qui vous laisse sereinement partir pour le bout du monde : "Puisque tu es ma femme et que j'ai confiance en toi !". C'est déjà assez triste de se quitter, quittons-nous au moins en larmes.

Intéressant témoignage: en 1965 Françoise dit se sentir individualiste et marginale, à la fois par caractère mais aussi malgré elle. Ce n'est que l'expression d'un ressenti, mais on ne ressent rien gratuitement. Qu'elle soit lucide ou pas sur les circonstances ou sa situation d'artiste, ce qu'elle ressent remonte à son enfance et explique en partie sa sensibilité, son comportement, son parcours, ses thèmes et son inspiration musicale.

J'aime bien sa façon de mettre en avant ses contradictions : souvent j'aurais besoin, moi aussi ...mais je crois que je ne supporterais pas longtemps un "maître". Maintenant on peut y voir aussi un côté noir sur blanc où elle ne fait pas de distinction entre un soutien attentionné et quelqu'un qui n'est là que pour l'exploiter. D'ailleurs ses réflexions sur le mariage sont de la même veine. Elle tient à une certaine indépendance, ce qui peut se comprendre, mais ses craintes et (in)certitudes la conduisent à un isolement moral où elle s'est elle-même confinée.

Je crois qu'elle est sincère lorsqu'elle parle de son caractère solitaire: rappelez-vous ce document de 1962 ou 1963 chez Mireille, où celle-ci lui fait remarquer qu'elle n'est assise ni avec le groupe de gauche ni celui de droite, mais toute seule au milieu.

Oui, à l'époque elle était seule au centre comme un certain Bayrou, mais elle avait plus de fans .
Maintenant qu'elle est plus au fait des choses, si je puis dire, au propre comme au figuré, elle s'est mise dans le groupe de droite avec Johnny, Sardou, Lama, Pagny etc .... mais ses fans se sont réduits comme une peau de chagrin ( dont nous sommes ! ), quoiqu'elle garde heureusement de beaux restes ...

L'ambiance de l'article est tout de même plutôt morose.
Elle devait s'être levée du mauvais pied pour être aussi négative.

Finalement le seul truc qui m'amuse c'est sa boutade de fin : "C'est déjà assez triste de se quitter, quittons-nous au moins en larmes" quoique...

A noter que sur le mariage, elle n'a pas tellement changé d'avis depuis. Elle a toujours dit que son mariage avait été conclu uniquement pour des raisons juridiques et fiscales touchant aux droits de succession afin de protéger les siens (dans l'hypothèse où il lui arriverait malheur).

Sous entendu, bien entendu, qu'il n'y a qu'à elle qu'il pourrait arriver malheur....