Françoise Hardy, histoire d’un retour à la vie
Nathalie Lacube, le 10/01/2017 à 7h56
Mis à jour le 10/01/2017 à 8h36
Après avoir frôlé la mort, Françoise Hardy donne de ses nouvelles dans un livre. Son style singulier nourrit toujours l’inspiration de nombreux jeunes chanteurs.
Visiter Françoise Hardy, c’est d’abord être surpris par sa simplicité. Elle reçoit seule dans son appartement du XVIème arrondissement de Paris, ouvre sa porte elle-même, et parle sans contraintes. Elle se contente de se lover dans son canapé de cuir noir, d’observer avec acuité son interlocutrice et d’attendre avec impatience des « questions intéressantes ».
Pas question pour elle de se laisser flatter par une évocation de ce qu’elle a apporté à la chanson, ni de s’enfermer dans son statut d’icône française. « Icône, c’est vous qui le dites ! Mais ça m’est complètement extérieur. Je n’y pense jamais ! » lance-t-elle avec une vivacité inattendue. « J’ai été une vedette de la chanson, concède-t-elle. Mais j’ai toujours vécu comme si de rien n’était. Si j’avais fait attention à ce genre de choses, je n’aurai jamais pu vivre normalement ».
Elle souligne qu’elle « fait ses courses comme tout le monde ». Qu’il est rare qu’on la reconnaisse dans la rue ou dans les jardins du Ranelagh, son lieu de promenade préféré. Que lorsque cela se produit, « il s’agit, en général, de personnes de ma génération, qui me font part de leur estime, de leur sympathie, ou qui prennent de mes nouvelles », ce qu’elle trouve agréable.
Justement, Françoise Hardy a choisi de donner de ses nouvelles dans son dernier livre, « Un cadeau du ciel ». Elle l’a écrit un peu comme elle parle, avec une sincérité totale au risque de déconcerter, de brusques impatiences quand elle estime que la conversation ne va pas où elle voudrait l’emmener, des éclairs de malice imprévisibles qui font soudain pétiller ses yeux bleus, et une attachante liberté de ton.
Elle revient de loin et, à 72 ans, a envie d’aller à l’essentiel. Car elle a failli mourir en mars 2015 des suites d’une série de complications provoquées par le lymphome du MALT dont elle souffre. Une mauvaise chute, plusieurs fractures, un œdème pulmonaire, un poids qui descend jusqu’à 39 kilos, des médecins qui décident de la plonger dans un coma artificiel… « Au bout de mes trois semaines entre la vie et la mort, l’hématologue a téléphoné à mon fils Thomas pour l’informer qu’on ne pouvait plus rien pour moi », raconte-t-elle.
Thomas Dutronc fait venir son père Jacques qui le rejoint à son chevet. Puis prend la décision en dernier recours de faire administrer à sa mère un lourd traitement de chimiothérapies qui aurait pu l’emporter. Il lui permet au contraire de revenir, de rouvrir les yeux, de sourire à son fils qui lui tient la main, et de houspiller Jacques Dutronc en lui intimant de retirer les « vilaines lunettes noires » qu’il porte pour cacher sa fatigue.
Une scène croquée avec humour dans le livre pour témoigner du lent retour à la vie d’une patiente qui n’a découvert que progressivement ce qui lui était arrivé. « Je n’ai pas eu conscience d’avoir été jugée perdue. J’étais tellement malade que je demandais au ciel de faire en sorte que je meure dans mon sommeil, dans l’inconscience ».
Quand elle comprend ce qui s’est passé, elle pense avoir été sauvée par le soutien des deux groupes de prières qui sont intervenus pour sa guérison. « Naïvement, je fais part à mon hématologue-oncologue de mon étonnement devant le pouvoir salvateur de la prière », raconte-t-elle. « Il n’y a pas eu que les prières », lâche ce médecin qui a administré les chimiothérapies, et à qui Françoise Hardy témoigne aujourd’hui toute sa reconnaissance.
Après « avoir raté un départ qui aurait peut-être tout simplifié », Françoise Hardy s’interroge sur cette épreuve. Sous le regard d’un grand Bouddha qui décore son salon, sans être pour autant bouddhiste, elle médite sur l’authenticité, la bonne volonté, et, surtout, le discernement comme principe directeur de vie. Reprend le fil de cette vie qui lui a été redonnée, alors que « je croyais avoir rendu l’âme ». Se passionne pour la physique quantique. Lit l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan… et le livre d’Emmanuel Macron.
« Macron m’intéresse, lance-t-elle. Ses idées me paraissent ancrées dans la réalité du monde d’aujourd’hui ». Elle ne sait pas encore si elle votera pour lui ou un autre candidat à la présidentielle. « J’attends de voir lequel dira clairement, non pas ce qu’il faut faire, mais comment. Je voterai pour la personne qui aura un programme connecté aux réalités, et avant tout, aux difficultés de l’économie française ». Des sujets qu’elle suit attentivement, même si dans son havre de paix parisien, la chanteuse peut sembler vivre dans sa tour d’ivoire. « Mais je n’ai jamais été une exilée fiscale, et j’ai toujours payé mes impôts en France ! », lance-t-elle.
La musique l’aide à reprendre pied. Fatigue oblige, elle ne va plus aux concerts, saufs ceux de son fils. « Je ne fais cet effort là que pour Thomas, sourit-elle. Sur scène, il offre des concerts très diversifiés, avec des instrumentaux de talent, du jazz manouche... Il improvise des sketches entre les chansons. On ne s’embête jamais.»
Inspiratrice de la jeune génération, Françoise Hardy a aussi le goût de la découverte. Elle s’anime en évoquant son dernier coup de cœur en chanson. « Si vous avez le temps, je peux vous la faire entendre », dit-elle en se levant souplement, plus facilement qu’elle n’avait l’air de le redouter. « Lost on you », le tube de l’Américaine Laura Pergolizzi (« LP »), résonne dans le salon de Françoise Hardy, qui esquisserait presque un gracieux pas de danse. « La production est parfaite, très efficace. C’est bien fait, avec de bons musiciens », explique-t-elle, tout en suivant précisément le tempo. « Moi, j’aime les chansons qui, à un moment donné, décollent. Et là, au refrain, elle décolle. Je suis transcendée. Elle dégage quelque chose. D’ailleurs Souchon et Voulzy en ont aussi été scotchés quand ils l’ont entendue », renchérit-t-elle, toute fatigue apparemment oubliée.
Nombreux sont les jeunes artistes qui se revendiquent d’elle. « Je suis une grande admiratrice de Françoise Hardy, sa musique est une source d’inspiration pour moi », confie la Britannique Katie Melua, qui a repris sa chanson All over the world. Admiration réciproque, Françoise Hardy expliquant pour sa part qu’ayant entendu pour la première fois chanter Katie Melua, elle s’était « précipitée à la Fnac pour acheter tout de suite son disque ! »
Parmi ses autres « héritières » en chanson, elle cite en premier Keren Ann. « Elle est vraiment formidable. Sa reprise de La Question est aussi bonne que l’originale ». Étienne Daho, Élodie Frégé, La Grande Sophie, Benjamin Biolay… nombreux sont ceux qui reconnaissent une dette envers Françoise Hardy. « Je me suis inscrite dans une tradition de la chanson française et de la pop anglaise. Tous les chanteurs sentimentaux et introvertis sont portés vers le même genre de musique que moi », admet-elle.
Cette amie de Patrick Modiano _il lui a écrit des chansons_ trouve que son prix Nobel de littérature était d’une autre trempe que celui accordé cette année à Bob Dylan, qu’elle a lui aussi bien connu. « La chanson est un art mineur, je le tiens de Gainsbourg », tranche-t-elle.
Elle évoque en riant Serge Gainsbourg « jouant avec les mots pour énerver Guy Béart » dans l’émission « Apostrophes ». « Il lui expliquait qu’un art mineur ne requiert aucune initiation, quand un art majeur exige un long apprentissage. De fait, on ne peut pas écrire un concerto ou élever un monument sans avoir longuement étudié », rappelle Françoise Hardy. Avant d’ajouter, en une malicieuse pirouette : « Mais n’importe qui peut faire une chanson sans avoir appris la musique, j’en suis la preuve vivante ! ».
Elle reconnaît être attirée par les artistes, « quand elle entend une problématique affective intérieure », préférer La Petite Sirène ou la littérature romantique anglaise aux romans d’aventure, ne pas supporter la violence au cinéma, aimer les chansons tristes…
Et de citer avec admiration une influence majeure pour son propre parcours : « La Rue s’allume (L’Odeur des roses) de Cora Vaucaire. Tout un roman dans la musique. »
Nathalie Lacube
Source : http://www.la-croix.com/Culture/Musique/Francoise-Hardy-histoire-retour-2017-01-10-1200815962