Françoise Hardy : « Cela fait pas mal de temps que la nostalgie m’accompagne… »
La chanteuse se confie au « Point » et revient sur le processus créatif de ses plus belles chansons.
Un magnifique exercice d’autoportrait.
Propos recueillis par Jean-Noël MirandeLe 25 avril 1962, Françoise Hardy entrait en studio pour la première fois pour enregistrer « Tous les garçons et les filles ». Près de 60 ans plus tard, alors qu'elle ne chantera plus, elle publie l'intégrale des textes dont elle est l'autrice : Chansons sur toi et nous*, commentés par ses soins. Le ton est direct et sincère. Cette femme attachante, incapable de tricher, dessine un autoportrait en creux. Françoise Hardy nous embarque au plus près de l'œuvre collective qu'est la réalisation d'un disque.
On y croisera, avec nostalgie, Serge Gainsbourg, Michel Berger, Julien Clerc, William Sheller, Jean-Marie Périer, Catherine Lara et, bien sûr, Jacques Dutronc. La présence de Julien Doré, Calogero ou du groupe Air montre à quel point elle est une artiste de son temps, solitaire, mais reconnaissante à celles et ceux qui l'ont accompagnée. Fidèle lectrice du Point, elle répond en exclusivité aux questions de Jean-Noël Mirande.
Le Point :Pourquoi cette proposition, après une certaine réticence, a-t-elle fini par emporter votre adhésion ?Françoise Hardy : Dans mon mauvais état physique, je ne pouvais rien faire d'autre. Mais j'ai commencé ce travail de commande sans savoir si je pourrais le faire et je me suis assez vite prise au jeu.
Françoise Sagan dans son livre Derrière l'épaule disait, en évoquant ses romans, qu'ils étaient « des bornes vérifiables, ponctuelles » de sa vie. Est-ce aussi votre impression ?Tout ce que j'ai écrit est autobiographique, et comme j'aurai entendu toute ma vie des choses fausses à mon sujet ou lu des dénaturations de mes propos, mes écrits, quels qu'ils soient, auront été avant tout des témoignages sans tricherie – sans embellissement ni rabaissement.
Avez-vous été nostalgique en évoquant tous ceux qui ont été présents pendant toutes ces années ?À l'âge que j'ai, avec les difficultés inhérentes à l'âge et à la maladie, et dans le contexte catastrophique actuel, cela fait pas mal de temps que la nostalgie m'accompagne. Mais tous mes souvenirs heureux me font du bien et m'aident à tenir.
Vous avouez parfois un souvenir lointain de certains textes. En vous y replongeant, les circonstances de leurs écritures sont-elles réapparues d'emblée ?En général, hormis mes chansons du début dont le texte n'exprimait rien de mon vécu, à partir de 1966-1967, je me souvenais, je me souviens, à peu près des circonstances dans lesquelles j'ai écrit mes textes et encore plus de la personne à laquelle je m'adressais secrètement.
Vous êtes souvent sévère avec la jeune fille que vous étiez, vous avouez à plusieurs reprises avoir honte, mais vous exprimez aussi votre satisfaction le cas échéant. Vous exhumez des textes que vous n'aimez pourtant pas avec le recul. Est-ce une volonté de lucidité, d'objectivité ?Ce n'est pas une volonté. Je suis une grande maniaque de la vérité des faits – donc de mon vécu – et de mon ressenti. Toute ma vie, je le répète, il m'a été pénible de les lire ou de les entendre déformés. Même dans les interviews enregistrées pour être diffusées à la radio ou en bande sonore d'un document télévisé, on tronque vos phrases et, parfois, il en résulte le contraire de ce que vous avez dit en réalité. Cela m'étonne qu'à quelques exceptions près (« Tous les garçons et les filles ») mes premiers textes aient été si loin de ma réalité d'alors. Cela donne de très mauvais textes – comme entre autres « J'ai jeté mon cœur » ou « Une fille comme tant d'autres », dont le texte continue en effet de me faire honte. « Pour qui tu t'prends », par exemple, était un texte pour Julien Clerc et je m'inspirais d'un certain type de filles auquel il avait peut-être eu affaire.
Vous avez écrit souvent sur les mêmes thèmes, l'attente, le défaitisme en amour, la non-réciprocité, est-ce révélateur de votre côté obsessionnel ?Bien sûr ! Heureusement, on peut trouver une façon différente de dire les mêmes choses. Un ressenti et un vécu concret ont plusieurs facettes.
Vous expliquez votre façon de travailler. La mélodie est ce qui déclenche votre inspiration pour écrire. Vous faites la différence entre une belle chanson et une grande chanson, quelle est-elle ?Ce qui importe, c'est la magie de la mélodie. J'ai souvent dit qu'une mélodie magique peut être tant une petite mélodie, comme « Foule sentimentale » d'Alain Souchon, qu'une grande mélodie comme « Que reste-t-il de nos amours ? » de Charles Trenet. Il y a une grande différence entre une grande et belle mélodie intemporelle, qu'on entendra encore dans très longtemps, et une mélodie dépourvue de ces qualités et qu'on aura vite oubliée.
*Éditions des Équateurs (24 euros) sortie le 17 mars
Source : https://www.lepoint.fr/musique/francoise-hardy-cela-fait-pas-mal-de-temps-que-la-nostalgie-m-accompagne-17-03-2021-2418132_38.php#