Inter-ViOUS et MURAT - numéro 5 : FRANCOISE HARDY
Alors ce qui est bien, c'est qu'on pourrait se passer de présentation pour une fois... mais une personnalité de ce genre mérite "introduction", tapis rouge et canapés... Elle nous accompagne depuis les sixties (une période étrange sans doute située d'après mon enquête entre les années 1950 et 1970) et mène carrière en toute humilité.... malgré un statut d'icône mérité : Damon Albarn avec Blur, Malcom Mac Laren (qui vient de mourir) ont fait appel à elle pour des participations, et elle a écrit ou interprété des nombreuses chansons qui resteront... et qui, signe de leur qualité, font l'objet de nombreuses reprises: mon amie la rose, comment te dire adieu, fais moi une place, message personnel, au fond d'un rêve doré (nana surf), l'amitié.... Bien sûr, c'est à l'occasion de la sortie de "la pluie sans parapluie" où figure un titre écrit et produit par Jean-Louis Murat (memory divine) qu'elle a bien voulu répondre à mes questions... mais point question de promotion: elle aime réellement Jean-Louis Murat... et lui rend un bel hommage ici.
Baptiste Vignol a eu la gentillesse de vous parler de mon modeste blog et je suis très honoré que vous acceptiez de répondre à quelques questions (je suis dans mes petits souliers...). Le principe de "l'interViOUS et MURAT" est de faire parler une personne de son lien avec le sieur Murat et pour un artiste d'évoquer des points communs artistiques ou des divergences.
Voilà depuis janvier que je suis de près l'histoire de cette collaboration puisque l'info de l'enregistrement d'une chanson de Jean-Louis est sorti sur un forum qui vous ait consacré un ou deux jours après l'enregistrement (janvier)... On en a, petit-à-petit, appris un peu plus... mais il reste quelques points à éclaircir...
Pour commencer, je suis obligé de vous poser une question (les Muratiens, acharnés des inédits, m'en voudraient trop si je ne vous la pose pas). Jean-Louis vous a envoyé 4 chansons et vous n'avez retenu que "Memory divine". Vous rappelez-vous des titres des autres chansons ?
F. HARDY : Les autres chansons s'intitulaient : Tous les chanteurs sont malheureux, L'envie de vivre, La nature du moi. Mais aucune ne m'emballait autant que Memory divine or, à quelques exceptions près, je ne me lance dans l'enregistrement d'une chanson que si j'ai un coup de foudre pour elle.
Vous avez reçu des maquettes assez abouties. Est-ce à dire qu'elles n'étaient pas des simples démos "guitare-voix"?
F. HARDY : Il y avait juste une rythmique, mais les guitares et l'ambiance musicale étaient si parfaites pour mon goût, que je ne voulais rien d'autre.
Comment s'est passé le choix de confier la production à Jean-Louis Murat (Il est venu plusieurs fois à Paris et a enregistré la base rythmique à Clermont) ? Vous avez dit que ça avait été "facile" et "hyper rapide": cela ne nous étonne pas de Murat... et sa "façon" de ne pas trop se poser de question en studio mais comment cela a-t-il été compatible avec votre perfectionnisme et votre anxiété naturelle?
F. HARDY : Mon album était presque terminé, nous avions des deadlines qu'il était impossible de repousser encore. Il fallait donc faire vite. Mais même si j'avais eu tout le temps devant moi, j'aurais tenu à ce que ce soit Jean-Louis qui refasse dans ma tonalité ce qu'il avait fait sur sa démo. Il m'a mailé la nouvelle rythmique qu'il a faite chez lui et comme l'intro n'était pas exactement la même que dans la 1ère version, j'ai chipoté à ce sujet pour finir par lâcher prise.
Il était en studio avec vous. Avez-vous eu des discussions sur l’interprétation à proprement parler du titre ?
F. HARDY: Non. Je faisais juste à la fin une petite faute de mise en place que Jean-Louis m'a signalée. Par ailleurs, j'étais surprise qu'il ne reste pas pour le choix des prises de voix - il pensait sûrement que c'était plus de mon ressort que du sien - et qu'il n'assiste pas au mix du début à la fin – mais sans doute faisait-il confiance à son ingénieur du son auquel il avait dû donner ses instructions. Pendant le mix, nous papotions dans une sorte de petit salon : c'était une situation totalement inédite pour moi. Je connais des chanteurs que le choix des prises de voix et les mix assomment, Jacques Dutronc par exemple, alors que pour moi, il est inconcevable de ne pas y participer ne serait-ce que par ma seule présence.
Jean-Louis avait donné un texte à Thierry Stremler (un de vos compositeurs) il y a quelques années. Ce dernier a-t-il joué un rôle dans cette collaboration ?
F. HARDY: Vous me l'apprenez. Si Thierry avait joué un rôle dans cette collaboration inattendue, il me l'aurait sans aucun doute fait savoir.
Est-ce que vous avez été surprise de recevoir un titre en anglais de la part de Jean-Louis Murat? On le sait défenseur de la chanson française, tout en ayant en stock semble-t-il un grand nombre de chansons en anglais... Y a-t-il eu une vraie discussion pour qu'il fasse un texte en français? Ensuite, il a été aussi question de modifier "lick" en "live".
F. HARDY: Bizarrement, j'étais tellement enthousiasmée par la chanson que je ne me suis pas posé de questions sur le fait qu'elle soit en anglais. Virgin aurait aimé un texte en français. J'ai transmis la demande à Jean-Louis qui tenait à ce que son texte reste en anglais. De toute façon, nous étions trop pressés par le temps pour envisager un autre texte. Il est vrai qu'il y a eu un tout petit problème sur le mot "lick". Jean-Louis avait d'abord écrit : I want to lip a late passion" après c'est devenu "I want to lick". Comme mon gros dictionnaire anglais me donnait des significations improbables des deux mots ou pas de signification du tout, j'ai pensé les remplacer par "live". Mais lors des premières prises de voix, dès que Jean-Louis m'a entendu chanter "I want to live", il est arrivé en trombe pour me dire que c'était "lick" et pas "live", et que son texte avait été vérifié par un agrégé d'anglais. Ce qui est amusant, c'est que j'ai mailé la chanson à Ben Christophers, un artiste britannique avec lequel je travaille de temps en temps et dont j'étais impatiente d'avoir l'avis. Il m'a répondu ceci : "Yes the song is great, I like your double vocal in the chorus, I'm not sure what the lyrics mean either but it's cool…"
Oui, avec Murat, on n’est jamais sûr de ça !! Vous avez craqué sur cette chanson ( "j'étais folle de la maquette" et " De nature obsessionnelle, je n’écoutais alors plus que cette chanson" avez-vous dit). Est-ce que vous écoutez encore la maquette ou votre version ?
F. HARDY: Les deux mon capitaine.
… petit moussaillon plutôt !…. Vous avez eu ce commentaire : "j’ai régulièrement fantasmé d’enregistrer un album avec Jean-Louis Murat, dont les réalisations me paraissent toujours d’une perfection absolue et dont je suis attentivement la carrière depuis Mustango ". Ce n'est pas un mince compliment et même peu de ses fans le diraient! Est-ce que vous avez d'autres albums fétiches de Jean-Louis ? et pourriez-vous nous citer les 3 titres que vous aimez le plus ?
F. HARDY: J'ai surtout eu ce fantasme, lors de difficultés surgies pendant l'enregistrement de mon dernier album, parce que j'avais écouté certains morceaux du dernier album de Jean-Louis et avais été saisie, en effet, par la perfection de la production.
S'il fallait choisir trois titres de Jean-Louis Murat, je prendrais : L'amour et les Etats-Unis, Monsieur craindrait les demoiselles, M le maudit. Mais ça me contrarie de ne pas citer Caillou ni aucun titre de Mustango que j'ai écouté en boucle pendant un an à peu près.
Au grand journal (ou était-ce pas dans On n'est pas couché de Ruquier ?), vous avez dit qu'il vous était difficile d'envisager de donner à quelqu'un la charge entière d'un de vos albums. Même à Murat, malgré cette "perfection absolue"?
F. HARDY: La production et la réalisation sont deux choses différentes. Il est impossible dans l'absolu qu'un artiste, si talentueux qu'il soit, fût-il Gainsbourg, ponde douze très bonnes chansons pour un même album.
Par ailleurs, vous étiez avec Murat sur le tribute "Route Manset"... On cite régulièrement cette référence concernant Murat... Qu'est-ce que vous en pensez? J'aime bien l'impression "ligne claire" pour votre musique... et je trouve qu'elle correspond bien à une bonne partie de la discographie de Manset (le pop "atelier du crabe" par exemple). Par ailleurs, ils ont tout deux écrit leur "vénus" (Manset pour Bashung). En tant que vénusienne, lequel des deux titres préférez-vous ?
F. HARDY: Pour ne pas faire de jaloux, je choisirai la Vénus de Bananarama !
Ma question sur Manset ne vous inspire pas… Dommage… j’y travaille en ce moment et j’aurais bien voulu l’avis d’une grande spécialiste de la chanson… Concernant une comparaison entre vous et ces deux artistes, ce qui me vient à l’esprit, c’est quand même la hauteur de leur « prétention », artistique… (même s’ils s’aiment aussi en artisan) alors que vous semblez d’une humilité à toute épreuve ? Est-ce que vous vous rangez à l’avis de Gainsbourg sur la chanson art mineur ?
F. HARDY: La plupart des gens ignorent la signification d'art majeur" et d'art mineur. Serge qui était pervers sur les bords a joué là-dessus. Il savait qu'il serait mal compris et que cette incompréhension susciterait des discussions totalement à côté de la plaque qui satisferaient son goût de la provocation.
UN ART MAJEUR EST UN ART QUI REQUIERT UNE INITIATION (la peinture, l'architecture, la grande musique) ALORS QU'UN ART MINEUR N'EN REQUIERT AUCUNE. Mais cela n'a rien à voir avec la qualité des productions. Il y a au moins autant de très mauvaises choses en musique classique qu'en pop music et une mélodie très inspirée de pop music n'a rien à envier à un thème mélodique inspiré de musique classique.
AUTREMENT DIT, EN MATIERE D'ART, LES TERMES "MAJEUR" ET "MINEUR" QUALIFIENT LA NATURE DE CET ART, EN AUCUN CAS SA VALEUR. En fait, je n'ai pas bien compris votre question. Est-ce que"Route Manset" est la compilation qui a été faite avec des interprétations des chansons de Manset par des artistes différents, dont moi ? Je ne m'en souviens plus bien, car, malheureusement, je n'ai pas le CD.
J'ai eu une très mauvaise expérience avec Gérard Manset dont j'apprécie beaucoup certaines chansons ("Je tuerai la pianiste" sur le dernier Bashung fait partie de ses nombreux petits ou grands chef d'œuvre) : chaque fois qu'il m'a proposé quelque chose, j'ai trouvé ça très mauvais et très éloigné de ma personnalité profonde.
Il me semble que Jean-Louis est plus prolifique que Manset. La prolificité implique une certaine facilité à composer, à écrire, mais le revers en est souvent un manque relatif de discernement sur la valeur de ce que l'on fait. Et puis, si l'on produit trop, on fatigue le client et on ne se renouvelle pas toujours assez ! On ne peut pas écrire et composer des chansons vraiment fortes si on en en compose et en écrit non stop. C'était un gros défaut de Benjamin Biolay dont les albums s'enchaînaient sans transition et comportaient de moins en moins de mélodies fortes. Un arbre ne peut pas donner des fruits toute l'année. Ni Serge ni Bashung n'étaient prolifiques - et Souchon et Voulzy ne l'ont jamais été non plus.
Vous connaissiez à peine Jean-Louis Murat (je n'ai pas trouvé trace de rencontre, ou peut-être sur un plateau d'Ardisson) ... Est-ce qu'il est devenu votre ami ?F. HARDY: Je l'avais invité dans mon Vivement dimanche de l'an 2000 (je crois) et j'étais ensuite allée le voir à l'Olympia. Ca s'est arrêté là. Il faut des circonstances diverses et variées pour qu'une amitié se construise. Il faut surtout avoir vécu des choses ensemble. Mes plus grands amis sont des personnes avec qui j'ai travaillé et que les circonstances m'ont amenée à revoir. Un ami, c'est aussi quelqu'un qui peut vous parler de choses intimes et vice versa. Je ne veux que du bien à Jean-louis Murat. En ce sens, je suis donc son alliée. Mais ça ne suffit pas pour parler d'amitié.
Jean-Louis Murat (en évoquant sa choriste du dernier album Cherie ) disait "j'adore les voix de filles qui ne craignent pas les garçons". Pensez-vous avoir à ses yeux cette qualité là (tout en ayant "cette absence de sérénité touchante" dont il vous a parlé)?
F. HARDY: Je ne pense pas. j'ai toujours eu peur de tout, en particulier des insectes, des virus et des garçons (sortes de virus macroscopiques). C'est sans doute la raison pour laquelle ma voix est si limitée ! De toute façon, je ne suis plus une fille mais une femme passablement blette. Et certains hommes mûrs, voire blettes, me font encore plus peur aujourdhui que les garçons hier.
Jean-Louis Murat aime le « vous » , il me semble que vous y êtes fidèle aussi dans vos textes… Est-ce que vous auriez d’autres points de comparaison entre vos deux styles ?
F. HARDY: Beaucoup d'auteurs aiment le vouvoiement, ne serait-ce que parce que la sonorité de "vous" est si belle. Serge Gainsbourg l'a pas mal utilisé (- "J'avoue, j'en ai bavé pour vous, mon amour, avant d'avoir eu vent de vous..." - Quelle beauté ! ) Guy Béart aussi : "Ce qu'il y a de bon en vous, c'est vous" dans sa chanson "Vous"… etc… L'une de mes chansons préférées "Cet enfant que je t'avais fait" de Brigitte Fontaine et Jacques Higelin fait plus fort encore avec le protagoniste masculin qui utilise le tutoiement et la protagoniste féminine qui utilise le vouvoiement (Offrez-moi une cigarette, J'aime la forme de vos mains, Que disiez-vous ? Caressez- moi encore la tête, J'ai tout mon temps jusqu'à demain, Que disiez-vous ?)
Est-ce que dans votre œuvre, vous avez une chanson qui vous fait penser à Murat, ou dont Jean-Louis Murat aurait participé à l’inspiration ?
F. HARDY: Le mot "œuvre" est un grand mot qui va pour Murat, Manset, Gainsbourg, Trenet, Brassens… Pas pour moi !
Non je ne crois pas. Mon vocabulaire est mille fois plus limité que celui de Jean-Louis et mon inspiration moins riche, plus simple aussi : toute ma vie, j'aurai juste tenté de mettre en mots sur des mélodies venant du cœur les émotions et les sentiments que je ne pouvais exprimer de vive voix à la personne qui me les inspirait plus ou moins malgré elle. Ca n'allait pas plus loin - ça ne va pas plus loin - alors que l'inspiration de Jean-Louis me semble aller beaucoup plus loin. Même si nous avons le Capricorne en commun, le Verseau et d'autres facteurs que je ne connais pas, parmi lesquels le talent qui relève plus de l'inné que de l'acquis, lui auront valu un champ de conscience à coup sûr moins étroit que le mien !
(source : http://surjeanlouismurat.over-blog.com/article-inter-vious-et-murat-numero-4-stephane-prin-suite-50792794.html )