Françoise Hardy : "La première fois que j'ai vu Michel Berger..."
Il y a 40 ans, la chanteuse sortait "Message personnel", un album important dans sa carrière et dans sa vie privée. Il est réédité aujourd'hui. Entretien.
A l'occasion de la réédition de son album "Message personnel", sorti il y a 40 ans, "Le Nouvel Observateur" a rencontré Françoise Hardy. Elle nous raconte l'importance de ce disque dans sa vie et nous dévoile les coulisses de sa réalisation, et notamment sa relation particulière avec Michel Berger.
Quelle place occupe "Message personnel" dans votre discographie ?
- Il a été doublement important dans ma vie puisque 1973 est l’année où j’ai enregistré cette chanson et où j’ai donné naissance à Thomas. L’album "Message personnel" est sorti et a eu un succès quasi immédiat. Donc à la fois le rêve de ma vie, avoir un enfant, se réalisait et je renouais avec le succès puisque mes deux albums précédents avaient été des échecs cuisants.
Comment s'est passée votre rencontre avec Michel Berger ?
- C’était le début de Véronique Sanson devant laquelle j’étais en admiration, elle venait de sortir l’album "Amoureuse" dont il était le producteur. Des années auparavant, il avait composé une chanson que je trouvais très jolie et qui s’appelait "Quand on est malheureux". Jean-Marie Périer m’avait dit que c’était le genre de chanson que je devais chanter et c’était évident, c’était en effet ce que je recherchais en permanence.
Donc ça faisait un petit bout de temps que je me tenais au courant de ce que faisait Michel Berger, mais jamais je n’aurais osé m’adresser à lui et ce même si je ne savais plus que faire dans ma carrière : je n’avais plus de contrat avec une maison de disques à cause de ces deux disques qui n’avaient pas marché, j’étais un peu perdue. Jean-Marie Périer a insisté pour que je rencontre Michel Berger. Ça s’est fait comme ça.
Comment était-il ?
- La première fois que je l’ai vu, il est venu chez moi rue Saint-Louis-en-l’île, un soir, avec Véronique. Je ne me souviens même pas de ce qui s’est dit. En revanche, je me souviens de la vision que j’ai eu de ce couple d’une beauté incroyable et d’un talent inouï. Ils étaient si beaux et ils allaient si bien ensemble que j’ai été littéralement éblouie.
Il semblait doux mais en studio on imagine bien qu’il avait de l’autorité.
- Je pense qu’il avait une certaine féminité comme tous les artistes masculins et puis il avait une certaine fragilité. Je pense qu'il compensait cette partie vulnérable et sensible de sa personnalité par une autorité qui parfois pouvait confiner à l’autoritarisme. Si bien que ce n’était pas facile de travailler avec lui. Michel n’était pas patient, mais compétent.
J’ai souvent dit que si je garde un souvenir si merveilleux de la réalisation, en 1971, de "La question", avec mon amie brésilienne Tuca, c’est pour des tas de raisons mais aussi parce qu’elle était venue tous les jours pendant un mois chez moi me faire travailler. Elle prenait sa guitare et me faisait répéter les chansons, si bien que je suis arrivée en studio en les connaissant parfaitement, je n’avais pas besoin de compter la mesure comme je le fais souvent, pour ne pas me planter. J’avais eu le temps de me repérer sur les accords et les figures qu’elle faisait à la guitare, alors que la plupart du temps, malheureusement, quand j’entre en studio, j’ai travaillé les chansons seule dans mon coin.
Ça a été le cas avec Michel Berger qui m’est tout de suite apparu comme un homme pressé, ayant mille choses à faire, mille choses à penser, mille personnes à voir. Le souci, c’est que Véronique et lui avaient un phrasé particulier et très différent du mien. J’ai toujours dit que j’étais mélodique mais pas rythmique. On peut être les deux, ce n’est pas mon cas. Je suis très mélodique, ce qui fait que quelques fois c’est l’émotion qui prime : vous vous laissez embarquer et vous débordez de 0,0001 seconde de la mise en place prévue. Et, surtout, vous vous baladez dans une mélodie lente, plus que sur une mélodie rapide. Donc, avec ce phrasé très particulier, je chantais sur les temps puisque je n’ai pas eu d’éducation musicale, ce qui n'était pas le cas ni de Véronique ni de Michel, ce qui fait que pour moi ce n’était pas naturel et donc assez difficile.
Quand on travaille comme ça et qu’on n’a pas ce sens développé, on prend des faux plis. Mes faux plis l’énervaient beaucoup. J’ai eu une difficulté rythmique dans les refrains de "Message personnel", il a dit d’arrêter les frais et il a pallié en mettant des chœurs sous ma voix. Mais le moment le plus difficile c’est quand j’ai enregistré "Je suis moi" - que nous avons ajouté sur cette réédition. Là, j’avais un problème avec le pont qui est la partie la plus jolie musicalement de la chanson : ça été un de mes pires souvenirs de studio.
Mon fils Thomas était né et il prenait son dernier biberon à minuit et son premier à 6 heures du matin, il fallait être disponible. En plus, moi, quand j’ai commencé à me lever très tôt, je n’ai plus voulu chanter le soir parce que je trouvais ma voix fatiguée. J’avais posé 20 heures comme limite. Donc, il trouvait que le pont n’allait pas, il voulait que je le refasse mais comme il ne m’expliquait pas bien ce qu’il attendait, je ne comprenais pas. Il s’impatientait et au bout d’un moment, je lui ai rappelé qu’on avait dépassé 20 heures et là, pour moi, c’était la pire insulte qu’il pouvait me dire, il ne s’adresse pas directement à moi et lance : "Caprice de star !".
Piquée au vif, je suis restée et j’ai continué à l’échiner sur ce malheureux pont. Au bout de deux ou trois heures, Michel est parti bouder dans un coin. Il était très jeune, moi aussi d’ailleurs. Et, au bout de deux heures, il sort de sa bouderie pour me dire que c’est très très mauvais et qu’il faudra tout reprendre le lendemain. C’est le genre de situation où vous vous dites - surtout moi qui doute beaucoup - qu’il faut arrêter le métier. Je raconte ça parce que c’est resté douloureux mais j’ai toujours eu énormément d’admiration pour Michel et j’en ai de plus en plus avec le temps. Je suis une inconditionnelle de Michel Berger dont je réécoute les chansons encore aujourd’hui. En particulier "Jamais plus jamais jamais", que j’adore.
Vous vous êtes revus par la suite ?
- Avec Michel, nous nous sommes parfois revus, mais surtout nous correspondions régulièrement. Chaque fois qu’il sortait un album, je lui envoyais une lettre pour lui dire à quel point j’étais emballée, transcendée, enthousiasmée et il me répondait à chaque fois.
Sophie Tith a repris "Première rencontre" qui figure sur ce disque.
- Les cordes sont nulles et arrivent trop tard. Ce n’est pas elle qu’il faut incriminer, c’est juste l’orchestrateur qui n’a pas compris que tout reposait là-dessus.
Parlez-nous de la chanson "L’amour en privé".
- Là aussi, c’est un souvenir cuisant. Je demande toujours en studio qu’on mette des paravents pour ne pas qu’on me regarde chanter parce que je bats la mesure. Car, souvent, je me mets à fond dans ce que dit la chanson. Pour "L’amour en privé", Jean-Claude Vannier, qui dirigeait les séances, s’est planté juste devant moi, grimaçant comme il l’a été toute sa vie. Là, il me regardait avec un air tellement insatisfait, c’était atroce. Or, la chanson n’était pas facile à chanter. Quel mauvais souvenir. Mais cette chanson s’est greffée sur l’album.
J’ai souvent rapporté ce propos de Serge Gainsbourg qui, quand il avait écouté l’album "La question" avec Tuca, avait dit qu’il y avait de très beaux wagons, mais à quoi servent de beaux wagons quand on n’a pas de locomotive ? Avec "Message personnel", à l’inverse, je trouvais qu’il y avait une belle locomotive, un très beau wagon "Première rencontre", mais que le reste était beaucoup moins bien. Mais en réécoutant tout pour la réédition, je me suis trouvée un peu sévère. Ce n’est pas un mauvais album.
Propos recueillis par Sophie Delassein - Le Nouvel Observateur le 11.11.2013